Quand le vaccin contre la polio devient source de… polio

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Lecture rapide
En cas de couverture vaccinale insuffisante, une souche dérivée du vaccin oral peut causer l’infection
Plusieurs pays en ont fait les frais, dont la RDC où une vaccination de masse est prévue fin août
D’autres options vaccinales sont à l’étude, mais la priorité reste l’éradication par les moyens existants

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Par: Amzath Fassassi

Des millions d’enfants de moins de cinq ans participeront fin août à plusieurs campagnes de vaccination contre la poliomyélite en République démocratique du Congo (RDC).

Ces campagnes sont consécutives à l’apparition de cas isolés de poliovirus à travers le pays, trois ans après que ce dernier eut été déclaré exempt de circulation du poliovirus sauvage.

Les derniers cas de polio identifiés sont en fait issus de deux poliovirus circulant de type 2 dérivés d’une souche vaccinale (PVDVc2).

Un PVDV est une souche rare du poliovirus, génétiquement modifiée par rapport à la souche originale contenue dans le vaccin antipoliomyélitique oral (VPO).

“Cette situation se produit généralement lorsque, pendant une longue période de temps, la couverture vaccinale est insuffisante, ce qui favorise la circulation interhumaine de ces souches vaccinales” Francis Delpeyroux, Institut Pasteur, Paris

Il existe en fait deux types de vaccins contre la polio : le vaccin injectable, constitué de souches inactivées par des produits chimiques, induisant des anticorps qui protègent contre la maladie, mais de manière insuffisante ; le deuxième vaccin est le vaccin oral, constitué de souches vivantes atténuées.

Selon Francis Delpeyroux, responsable de l’unité de biologie des virus entériques à l’Institut Pasteur, à Paris, il s’agit de « souches vivantes et lorsqu’elles se répliquent dans l’intestin des vaccinés, elles peuvent muter par dérive génétique et il suffit que cette dérive génétique soit suffisante, après de nombreux passages chez des enfants non-vaccinés, pour qu’elles redeviennent pathogènes. Dans ce cas, le virus est appelé PVDV circulant ou PVDVc. »

« Cette situation se produit généralement lorsque, pendant une longue période de temps, la couverture vaccinale est insuffisante, ce qui favorise la circulation interhumaine de ces souches vaccinales », explique le chercheur, dans un entretien avec SciDev.Net.

« C’est ce qui se produit dans des pays ayant des problèmes graves comme des conflits », poursuit Francis Delpeyroux. Ce fut le cas, récemment, en Syrie. Mais cela se produit régulièrement en RDC, à cause des problèmes politiques et de l’instabilité. »

Risque d’extension
Selon Guy Clarysse, responsable du Programme de survie de l’enfant au Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), en RDC, un cas similaire a été enregistré dans la zone de santé de Ghety, dans la province de l’Ituri (nord-est).

Un enfant de cinq ans, insuffisamment vacciné, y a succombé à la maladie, ce qui a alerté les autorités.

Cependant, si la région n’est pas éloignée de la frontière ougandaise, Guy Clarysse relève que ce cas ne présente pas de risque d’extension à l’Ouganda voisin. « C’est surtout sur le plan local que le danger est le plus important », relève-t-il.

Le responsable onusien estime que cet enfant était insuffisamment vacciné et a développé une paralysie due au virus.

Lors de la prochaine campagne de vaccination de masse, prévue du 30 août au 1er septembre 2018, les autorités espèrent réduire de manière significative le risque d’un retour en force de la polio dans le pays.

Cette campagne concerne 9 provinces de la RDC : le Bas-Uele, le Haut-Uele, le Mongala, le Nord et le Sud Kivu, le Nord et le Sud Ubangi, le Tshopo et l’Ituri.

Il est légitime, au vu du risque posé par le VPO, de s’interroger sur l’utilité d’un vaccin qui réintroduit une maladie qu’il est censé combattre.

Mais selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les avantages du VPO dépassent de loin le risque extrêmement faible d’un PVDVc.

« Le VPO a réduit l’incidence mondiale du poliovirus sauvage de plus de 99% depuis 1988, passant de 350 000 cas de paralysie chaque année dans plus de 125 pays endémiques, à 10 cas jusqu’ici en 2018 », estime Michel Zaffran, directeur de l’éradication de la poliomyélite à l’OMS, dans une interview à SciDev.Net.

Alternatives
C’est le seul vaccin contre la poliomyélite actuellement disponible, qui convient aux environnements difficiles où le programme fonctionne le plus souvent et le meilleur vaccin pour arrêter la transmission et prévenir les épidémies, poursuit Michel Zaffran.

Et de préciser qu’il est essentiel de comprendre que c’est la mutation du virus vaccinal parmi les communautés sous-vaccinées qui provoque des épidémies de PVDVc comme celle qui prévaut en RDC, pas le vaccin lui-même.

« Le programme de lutte contre la polio travaille tous les jours pour prévenir ces événements rares, visant à assurer des campagnes de vaccination de haute qualité, une surveillance solide et un engagement total dans tous les pays où nous travaillons », assure-t-il.

« Si une épidémie se produit, nous travaillons en étroite collaboration avec les autorités nationales pour l’arrêter rapidement, en menant des activités de vaccination tactique pour renforcer l’immunité parmi les populations vulnérables », ajoute Michel Zaffran.

“L'éradication peut être réalisée, comme le prouve la récente réponse rapide et réussie à Ebola dans le pays. Si la RDC peut arrêter Ebola, elle peut arrêter la polio.”
Michel Zaffran, directeur de l'éradication de la poliomyélite - OMS

Selon l’OMS, à l’échelle mondiale, si les efforts de vaccination contre la polio devaient s’estomper, on pourrait voir d’ici dix ans plus de 200.000 enfants paralysés par le virus dans le monde entier.

Pour autant, les experts en santé publique ne pensent pas que la menace posée par le PVDV est insurmontable.

D’un côté, Guy Clarysse estime qu’en ce qui concerne la RDC, « les deux tours de vaccination pour tous les enfants de moins de cinq ans devraient permettre de stopper la chaine de transmission » actuelle.

De l’autre, Michel Zaffran affirme que « à la lumière des nombreux défis rencontrés jusqu’à présent dans le cadre de l’effort mondial d’éradication de la polio, il n’y a pas de doute que la menace posée par les PVDVC peut être surmontée. »

Néanmoins, fait remarquer ce dernier, les épidémies dans les zones où la couverture vaccinale systématique est faible constituent un grave problème pour le programme d’éradication.

Eradication
Pour mettre un terme aux épidémies et parvenir à l’éradication de la maladie, un effort concerté de toutes les parties est nécessaire, estime Michel Zaffran, soulignant l’impérieuse nécessité de continuer à financer l’éradication de la poliomyélite, de détecter et suivre le virus et de prendre des mesures rapides pour prévenir de nouveaux cas de paralysie.

En RDC en particulier, un engagement et une appropriation accrus au niveau national sont nécessaires, insiste-t-il.

Hormis la RDC, trois autres pays ont connu des cas de PVDVc en 2018 : la Somalie, le Nigéria et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le PVDVc a également été détecté dans l’environnement au Kenya.

À la suite de l’effondrement du système de santé et des programmes de vaccination systématique pendant le conflit syrien, une épidémie de PVDVc s’est également déclarée en 2017.

Selon l’OMS, grâce au « travail acharné » des agents de santé sur le terrain et à l’appui de la communauté internationale, elle a été interrompue et aucun cas n’a été signalé dans le pays depuis septembre 2017.

Pour Michel Zaffran, « cela prouve que les épidémies de PVDVc peuvent être stoppées, même dans des endroits où les populations sont confrontées à de multiples urgences humanitaires. »

L’OMS estime que la communauté internationale est confrontée à une double urgence : d’une part, éradiquer le virus de la polio sauvage pour protéger les enfants partout dans le monde ; de l’autre, éliminer progressivement l’utilisation du vaccin antipoliomyélitique oral, afin d’éviter de futurs cas de PVDVc.

À cette fin, la communauté scientifique étudie d’autres options vaccinales pour l’avenir, y compris les essais préliminaires du nOPV, un vaccin contenant une forme de virus encore moins susceptible de muter.

Les chercheurs étudient également des moyens de renforcer l’immunité, lors des opérations de riposte aux épidémies, notamment en introduisant un vaccin antipoliomyélitique inactivé à dose fractionnée pour compléter l’immunité transmise par le VPO.

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