Mme Réki Djermakoye, Directrice générale de 2minvest : «Le centre vise à faire des femmes et des jeunes, de puissants acteurs économiques et sociaux…»

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Mme la directrice, 2minvest a vu le jour  récemment au Niger. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs les ambitions que vous nourrissez en créant cette structure et comment comptez-vous travailler pour concrétiser les différentes actions?

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Merci au journal  Sahel Dimanche pour cette opportunité  que vous me donnez pour parler des activités que nous menons pour aider les femmes et les jeunes du Niger à entreprendre. Notre structure ambitionne justement de travailler avec les femmes et les jeunes dans le domaine de l’entrepreneuriat au Niger et en Afrique. Forte des expériences capitalisées et avérées, nous avons réfléchi et analysé ce qui a marché et ce qui mérite d’être amélioré. Au regard des leçons apprises et des bonnes pratiques, nous avons d’abord décidé de créer une fondation.  Selon notre démarche,  l’esprit  de fondation consiste à renforcer le capital humain pour avoir des compétences susceptibles de répondre à nos attentes.

C’est dans ce cadre que nous avons initié des centres de promotion de l’entrepreneuriat des femmes et des jeunes. Ces centres interviennent dans les domaines de la formation, de l’accompagnement, du financement et des TIC dans une démarche inclusive.  Nous travaillons sur deux volets dont  le premier est dédié aux femmes. Nous intervenons  dans ce volet concernant l’inclusion financière et la vulgarisation du modèle Mata Masu Dubara ou Association de prêt et de crédit villageois.  C’est un modèle que nous avons initié il y a de cela une trentaine d’années. Personnellement, j’ai travaillé à CARE pendant dix ans  ce qui m’a permis de participer au développement du modèle MMD qui a bien marché au Niger. Ce modèle a été ensuite  exporté dans d’autres pays en Afrique et en Amérique Latine.  J’ai parcouru une vingtaine de pays en Afrique et aujourd’hui plus de 50 pays utilisent le modèle Mata Masu Dubara. Dans les pays à fort taux d’alphabétisation, ce modèle a enregistré une grande réussite et des grandes institutions financières se sont développées  sur la base dudit modèle notamment au Zimbabwe, en Erythrée, en  Tanzanie, au Kenya, au Rwanda, etc. Après le conflit au Rwanda, j’ai été retenu par l’USAID pour expliquer aux rwandais comment le modèle a fonctionné dans les pays les plus pauvres du monde. C’est ainsi que nous avons mis en œuvre un projet intitulé GRACE  ayant développé le projet dans les mille collines. Les Banques Populaires du Rwanda se sont ensuite inspirées du modèle.

Parler nous de 2minvest, concrètement qu’est-ce que c’est que cette  structure  et quels sont  les objectifs poursuivis à travers sa  création?

C’est une Société Anonyme au Capital de 530 millions de FCFA. Elle a commencé ses activités en tant que  structure d’investissement avec le volet formation parce qu’il s’agit d’abord d’investir dans le développement humain. Ainsi, nous avons procédé à la  création de la fondation qui vise d’abord à identifier les cibles afin de les former, les encadrer. Une fois qu’ils sont prêts, nous procédons à la levée de fonds  pour qu’ils viennent en appui au sein de leurs entreprises. En trois ans d’exercice, nous sommes toujours dans la fondation.  Bientôt, nous allons commencer à aller  dans le cœur  du métier, les arrangements de financement, les levées de fonds pour pouvoir aider les entreprises que nous accompagnons avec des mécanismes de financement alternatif. L’expérience a révélé des insuffisances pour ce qui est du financement des femmes et des jeunes.  Il faut maintenant y réfléchir davantage sachant que le modèle classique ne marche pas toujours pour le financement des jeunes.  Au niveau des femmes, c’est le modèle MMD que nous développons. Aujourd’hui au Niger,  nous avons plus d’un million de femmes qui sont dans le système.  Le modèle MMD permet aux femmes de se réunir, de se retrouver ce qui créée le leadership, le développement personnel, la confiance en soi, et chaque femme apporte sa contribution en espèce en vue de s’entraider mutuellement.  C’est une sorte de banques à l’échelle villageoise. Quand les femmes prennent des microcrédits, elles font des activités génératrices de revenus. Cela leur permettra d’assister la famille et une partie des ressources engrangées seront réinvesties. Des études ont démontré que les hommes sont  heureux de voir leurs femmes participer au fonctionnement des ménages. La participation des femmes à l’entretien des ménages atténuent entre autres les conflits conjugaux et le stress chez les hommes.  L’Etat a compris l’importance du modèle MMD en l’intégrant dans la stratégie de l’autonomisation de la femme afin de réorganiser les femmes et les conduire vers l’autonomisation.  C’est ma contribution pour la mise en œuvre de cette stratégie de notre pays.  Depuis la fin  de mes études, j’ai travaillé dans le monde rural où j’ai  pu constater le degré de la pauvreté.  Depuis lors, je me suis fixée des objectifs visant à aider les femmes à combattre la pauvreté. C’est une vision que je partage depuis le début de ma carrière en 1994. Je pense que je dois mettre mes connaissances aux services des femmes rurales sachant que mes études ont été supportées par l’Etat du Niger. De la GTZ  où j’ai travaillé à CARE où nous avons développé le modèle MMD, nous avons créée asusu et nous nous sommes inspirés de ce modèle.  A travers la structure que nous avons mise en place, nous comptons consolider et parachever ce que je me suis fixée comme objectif dès le départ.

 Avec la Fondation vous avez commencé il y a de cela trois ans. Quelle sont les  réalisations, les actions concrètes que vous avez menées sur le terrain?

La fondation que nous avons mise en place est contraire aux fondations classiques que vous connaissez. Il s’agit d’une structure qui est mise en place en vue de toucher les principales cibles pour qu’elles puissent bénéficier plus tard des avantages de l’entreprise. A l’entame de nos activités, nous avons d’abord décidé de développer un modèle économique qui sera appliqué afin de s’assurer de son efficacité. Pendant un an d’activité, j’ai fonctionné sans un partenaire national. Au regard de mon expérience, j’ai voulu travaillé en solo pour m’assurer des résultats qui seront obtenus.  Je suis convaincu que la qualité des résultats enregistrés, inciteront les partenaires à  venir eux-mêmes. C’est ce qui a été fait.   Nous avons axé notre communication sur les réseaux sociaux notamment Facebook.  Ce qui a permis aux partenaires d’apprécier nos activités et nous envoyer des appels d’offres.  Nous avons eu l’opportunité de travailler avec CARE International, GIZ, UNESCO, Maison de l’Entreprise, ENABEL, etc. Pour ce qui est des réalisations, présentement nous encadrons plus de 3.000 groupements  féminins au Niger ayant une moyenne de 30 femmes par groupement.  Nous avons également formé plus de 5.000 jeunes dans plusieurs thématiques.  Nous sommes en train de créer des centres d’incubateurs ruraux.  D’ores et déjà nous avons installé trois centres à savoir Balleyera, Say et Gotheye. Ce sont des modèles que nous sommes en train de tester avec la GIZ et CARE afin d’apprécier les résultats qui seront obtenus. Nous avons accompagné environ 300 entrepreneurs qui ont  des idées. Nous les  avons aidé à transformer leurs idées en projet, et ensuite le projet en entreprise pour certains. Nous travaillons sur des projets agro-business dans les domaines de l’élevage dans les régions de Dosso et Tahoua notamment des laiteries, de la production de kilichi à Madaoua. Il y a aussi des fermes que nous accompagnons, etc. Nous avons fait de notre mieux du fait que même le centre que nous appelons fondation, nous l’avons institutionnalisé pour obtenir le statut d’une association.  Nous avons la société d’investissement Mata et Matasa investing à savoir 2MI sa, et l’association qui est le centre 2minvest ayant pris le statut de l’association avec le nom ‘’ Bukata Mata da Matasa’’.  Nous avons deux structures. Le centre vise à faire des femmes et des jeunes des puissants acteurs économiques et sociaux  pour dire de véritables citoyens porteurs d’un Niger qui gagne.  Dans la mise en œuvre de cette fusion, nous avons incité les femmes et les jeunes l’année passée à s’engager en politique pour qu’ils soient dans les instances de prise de décisions.  Nous avons mis en place la plate-forme  qui est un mouvement de défense des droits humains  que nous avons appelé le monde Kurcia. A travers le monde Kurcia, nous avons incité les femmes et les jeunes à intégrer les partis politiques. Ce sont 33 partis politiques qui sont concernés. Nous avons recensé  environ 1.500 candidats qui ont été investis par les 33 partis politiques.  Tous ces candidats ont été encadré  et parmi lesquels 10% ont été élus.  Nous allons continuer à les encadrer pour qu’ils puissent jouer leurs rôles au sein des instances de prise de décisions. Nous apprécions personnellement la démarche des autorités actuelles. Il y a la volonté de construire le pays, et nous allons continuer  à apporter notre pierre à l’édifice pour aboutir à des résultats probants.

Au fait Madame la directrice, qui peut adhérer à 2minvest, est-ce uniquement les femmes ?

D’abord 2minvest .sa est une société, nous sommes 10 actionnaires.  C’est quand nous ferons l’augmentation de capital que nous pouvons accepter des nouveaux actionnaires. Quand vous prenez l’association, nous sommes également 10 membres, c’est fermé. Pour ce qui est de l’offre de services, nous permettons à tout nigérien désirant avoir des services d’accompagnement  suivant notre méthodologie, de venir. Ils sont la bienvenue, nous allons les aider. Au début de nos activités, les clients payent directement nos services, mais aujourd’hui nous avons des partenaires qui nous payent pour travailler dans des zones spécifiques. A titre d’exemple, si CARE me paie pour travailler  dans la zone de Tillabéry dans 16  communes. Si à Balléyera mes services sont sollicités, nous n’avons pas le droit de prendre un seul franc du fait que les coûts des prestations sont supportés par CARE. L’impact que nous voulons, c’est surtout au  niveau des femmes et des jeunes. Je préfère travailler avec les jeunes qui sont en milieu rural. C’est pourquoi je déploie ma méthodologie en milieu rural surtout que 80% de la population nigérienne vit en milieu rural.   Si nous appuyons les activités rurales à savoir l’agriculture, l’élevage, c’est une très bonne chose.

Malgré tout, on constate qu’au Niger,  les femmes et les jeunes ont des difficultés pour financer leurs activités. Comment expliquez-vous cela ?

Aujourd’hui, il y a beaucoup d’opportunités en matière de  financement dans notre pays. La plupart des projets de développement sont financés par la Banque Mondiale, les organismes internationaux qui  ont des mécanismes de financement. Mais au Niger, nous avons une loi et une stratégie qui dit que pour financer, il faut passer par les structures de métiers à savoir les Banques, les institutions de micro finance. Or, les banques par exemple ne font pas du détail. Vous ne pouvez pas demander à une banque d’aller trouver un villageois dans son entité pour le satisfaire. Ce n’est pas leur rôle. Pour ce  qui est du financement, il suffit de trouver les meilleurs canaux et tout le monde sera satisfait. En second lieu, je vous rappelle que les  formules classiques de financement ne sont pas adaptées.  A cet effet, il faut encore réfléchir et trouver les formules appropriées. J’ai suivi récemment une présentation du FISAN  qui est en train de mettre du contenu dans leurs interventions pour le mécanisme du financement alternatif. A Niamey et un peu partout, les femmes ne veulent pas aller à la banque, elles vous disent que c’est du ‘’haram’’ou de l’illicite. Même dans notre groupe, les femmes ne veulent plus du modèle que nous utilisons par le passé. Elles préfèrent le financement type islamique. Nous sommes aussi dans cette réflexion. Je suis dans le grand bord stratégique de réflexion du financement islamique pour voir dans le modèle MMD comment intégrer le système du financement islamique.  La troisième raison, les femmes et les jeunes sont plus dans l’informel. Une structure de financement ne peut pas prendre des risques à investir dans la pratique informelle. C’est pourquoi, nous encourageons la mise en place des structures d’accompagnement à l’entrepreneuriat. Nous avons créé un réseau dont j’assure la présidence. C’est une multitude de problèmes qui font en sorte qu’on a l’impression que le financement est difficile. L’Etat du Niger a fait beaucoup d’efforts ces cinq dernières années.

Mme la directrice, gérer une structure  de financement n’est pas chose facile au Niger, quels sont  selon vous, les obstacles qui peuvent  se dresser sur le chemin de ceux  qui osent dans ce domaine ?

Nous pouvons relever deux, voire trois groupes d’obstacles. D’abord, il y n’a pas d’éducation financière. Le taux d’alphabétisation est faible.   C’est dans ce sens que j’ai dit  qu’il faut investir dans le capital humain à travers la formation. Au Niger, les risques pays sont énormes. L’insécurité est un risque qui est là, vous ne pouvez aller dans certaines zones pour assister les populations. Le Niger fait frontières avec des grands pays lorsqu’ils prennent des décisions, elles touchent directement le pays. Il  y a par ailleurs le risque des actes administratifs.  Nous n’avons  pas aussi la culture du remboursement. Ce qui explique que nous avons souvent des impayés. Il y a des zones qui sont réputées dans cette pratique du fait que même les partenaires savent qu’en y investissant, il serait difficile de recouvrer l’argent investi. Mais, les choses s’améliorent à travers les formations et les sensibilisations. Nous avons relevé des changements notoires par rapport au passé. 

Réalisée par Fatouma Idé et Laouali Souleymane(onep)

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