Niger: la lutte contre les fistules, fléau pour les femmes et la société

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« J’étais presque à la mort. Je venais de perdre mon enfant mort-né, mon mari m’avait répudiée », raconte la Nigérienne Hadiza Zakaria, 48 ans, victime d’une fistule obstétricale qui a bouleversé son existence il y a une quinzaine d’années.

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La fistule obstétricale, qui entraîne l’incontinence urinaire ou rectale après un accouchement compliqué, est « un problème de santé publique dont on ne maîtrise pas le nombre de cas », qui se chiffrent en milliers au Niger, selon le Dr Abdou Amada Traoré.
Mais environ deux millions de femmes sont concernées dans le monde, en général des femmes pauvres ayant peu ou pas d’accès aux soins, selon les estimations du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA).

Outre le problème médical, la fistule est un « fléau social », symptôme de la pauvreté et « souvent conséquence d’un mariage précoce », qui conduit à l’ostracisation de femmes, complète Imorou Nafissatou, de l’ONG Dimol (Dignité).
Cette association, qui fonctionne grâce à des dons et à l’aide d’ONG internationales, accueille à Niamey une soixantaine de femmes par an pour « les soigner et les réintégrer socialement ».

Parmi elles, Hadiza, ancienne mère au foyer d’un village reculé au nord de Niamey, est devenue commerçante par la force des choses dans la capitale. Elle prépare aujourd’hui la +boule+, plat traditionnel qu’elle vend dans la rue, et vient régulièrement au centre Dimol (Dignité) encourager les jeunes femmes qui s’y trouvent, souvent des campagnardes illettrées et démoralisées.
Une vingtaine de femmes voilées, certaines avec des poches d’urine à la main et une ribambelle d’enfants, partagent la petite maison de Dimol en périphérie de Niamey. Pendant la journée, on repousse les lits et on pose les matelas contre les murs dans les trois chambres. Le soir, le sol est un espace de couchage.
Les femmes papotent dans la cour devant un tableau noir. Pendant leur séjour, certaines apprendront à lire ou au moins à déchiffrer grâce à des cours d?alphabétisation.
Elles travaillent aussi sur de vieilles machines à coudre mécaniques à pédale. « Cela fait partie du traitement. Cela force à bouger les jambes et fait circuler le sang », souligne la sage-femme de l’ONG, Sana Ousmane.
– ‘Une malédiction’ –

Hadiza raconte sa vie aux jeunes femmes. Lors de sa troisième grossesse, l’accouchement s’est compliqué. Elle a perdu son enfant puis s’est rendu compte qu’elle ne retenait plus ses urines. Son mari l’a répudiée et elle s’est réfugiée dans sa famille, avant d’être dirigée vers Dimol, d’être opérée et de refaire sa vie.
« Un des problèmes de la fistule est qu’elle est souvent considérée comme une malédiction. En raison de l’odeur que dégage la femme, on considère que la femme a été punie, que c’est de la sorcellerie ou qu’elle a commis l’adultère… Elle est souvent rejetée et ne comprend pas ce qui lui arrive. On a eu des cas de femmes qui ont été poussées à la dépression et à la démence », explique Nafissatou.

« Les jeunes filles habitent souvent dans des lieux reculés. Et faute d’argent, il n’y a pas de consultation prénatale qui aurait pu éviter la fistule », souligne Salamatou Traoré, la présidente de l’association.
« Mais c’est aussi le problème du mariage précoce: on donne tôt les filles en mariage, ça fait une bouche de moins à nourrir » dans un pays parmi les plus pauvres du monde. Et « on évite ainsi les grossesses hors mariage, très mal vues », ajoute-t-elle.

Résultat: « on a parfois des filles qui enfantent à 12 ans, alors qu’elles ne sont pas prêtes morphologiquement ou anatomiquement. Il faut changer les mentalités. Je répète souvent: la fistule est une chance, car souvent c’est (carrément) la mort », souligne le Dr Abdou.
– Opérée et ‘réintégrée’ –
Les statistiques sur les unions forcées ou arrangées au Niger sont alarmantes : 30% des filles sont mariées avant l’âge de 15 ans et 75% avant 18 ans, selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef). Ces mariages interrompent généralement la scolarisation des filles.

Mariée à 12 ans, Hadjura Zerifili a 16 ans. Elle a perdu son bébé quelques mois plus tôt. « Au début j’avais honte (d’être incontinente) et mes parents pensaient que je le faisais exprès. Après, ils ont compris », explique la jeune femme, très évasive quand on aborde la question du mariage précoce: « On m’a mariée, je ne sais pas… ». Son mari est un paysan de 20 ans. « Depuis que je suis arrivée ici, je me sens mieux. Je vois les autres femmes et ça me rassure. Ce que je veux, c’est retrouver ma santé ».

Maimouna Moukaila Salman, 20 ans, est elle tout sourire. Elle a été opérée et se prépare à la « réintégration » dans son village, dotée de savons et de linge. « Je suis guérie. Je veux retrouver ma maison et mon mari », dit-elle.
Elle devra toutefois rester chez sa famille pendant quelques mois avant de regagner le domicile conjugal, pour permettre une bonne cicatrisation et éviter une récidive, dans un pays où le taux de fécondité de 7,6 enfants par femme est le record mondial.
« La réintégration est importante. On fait une cérémonie. Ça permet de faire passer nos messages aux autres femmes qui pourraient avoir une fistule, de montrer qu’on en guérit », explique Mme Traoré. « Les femmes qui reviennent (chez elles) sont aussi beaucoup plus épanouies. Elles ont plus confiance en elles et servent d’exemple ».

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