Politique

A propos des supposés 400 milliards et de l’audit de la transition

Mamoudou Gazybo

Pr Mamoudou Gazybo Coordonnateur Comité

Textes Fondamentaux Transition 2010

 

Depuis la diffusion de l’enregistrement attribué à l’ancien président Tandja, les spéculations et commentaires vont bon train au sujet d’un prétendu magot de 400 milliards de francs CFA qu’il aurait laissé lorsqu’il a été forcé de quitter le pouvoir le 18 février 2010. Dans n’importe quel autre pays que le Niger, les questions suivantes viendraient à l’esprit de toute personne dotée d’un minimum de bon sens:

1-Le budget de l’État (environ mille milliards en 2010) n’est pas une somme d’argent amassée en entreposée au Trésor en début d’année et dans laquelle on viendrait puiser, mais des prévisions de recettes et de dépenses étalées sur toute l’année. Est-il possible, sachant par ailleurs la faiblesse des capacités de mobilisation de recettes de l’État, qu’en un mois et demi seulement d’exercice budgétaire, un tel montant représentant 40% du budget total soit déjà disponible dans les caisses de l’État? Si oui, pourquoi alors le Niger a toujours connu des tensions de trésorerie ?

2-Au cas où un tel montant a effectivement existé, et sachant qu’il ne peut avoir été entreposé au Trésor, où l’a t-il été et comment ceux qui l’ont sorti des caisses de l’État justifieraient-ils un tel acte qui serait non seulement contraire à toutes les règles de gestion financière, mais relèverait clairement de la criminalité économique ?

3-Une personne qui affirme l’existence d’un tel magot dans un pays où tout est urgent ne devrait-elle pas être entendue par les services compétents pour lui demander d’en indiquer le lieu d’entreposage et d’identifier ceux qui l’auraient dissipé afin que l’État poursuive les coupables et mette les citoyens dans leurs droits ?

Il y a certes des personnes qui posent ces questions. Il y a en surtout un grand nombre d’autres qui croient en l’existence du magot et pensent que les acteurs de la transition s’en sont emparés. Plus étonnant, ils les condamnent et les somment de s’expliquer sur la base d’allégations alors qu’en droit, le fardeau de la preuve incombe à l’accusateur. Dans ce groupe, il faut distinguer cependant au moins deux tendances:

-Un premier groupe de commentateurs est composé de personnes n’ayant jamais digéré que les militaires réunis au sein du CSRD aient mis un terme à leur projet de faire du Niger une République d’un autre âge. Ils pensent que l’occasion est venue de discréditer la noble œuvre de restauration de la démocratie accomplie. Mieux encore, ils veulent en liquider les acteurs et leur chef pour avoir refusé la servitude dans laquelle on voulait maintenir notre pays. Mais ne nous y trompons pas : au delà des acteurs de la transition, ils essayent d’instaurer un climat d’instabilité dans le pays, dans l’espoir de le plonger de nouveau dans une crise institutionnelle. C’est pour cela qu’ils accusent le président Issoufou de «couvrir les acteurs de la transition» car, disent-ils au mépris du peuple souverain qui l’a élu, le CSRD lui aurait donné le pouvoir. Or Si Mahamadou Issoufou doit quelque chose à quelqu’un, c’est au seul peuple nigérien qui l’a port é où il est. Il est légitime de ne pas être d’accord en politique, voire de se combattre, mais le patriotisme voudrait qu’on le fasse en préservant le cadre démocratique. Cette remarque vaut pour tous, pour le pouvoir qui doit respecter les droits de l’opposition, pour l’opposition qui doit une loyauté aux institutions républicaines et pour la société civile qui doit se battre pour défendre les acquis démocratiques qui sont notre bien commun et la seule voie de salut de notre pays en refusant toute instrumentalisation.

-Un second groupe comprend des personnes aux motivations plus sincères. Ce sont des citoyens qui n’ont pas nécessairement d’agenda caché, mais qui se posent légitimement des questions. Échaudés par le fait que les affaires ont souvent émaillé la vie de notre pays, ils demandent des clarifications, même si la manière de poser le débat ne résiste souvent pas à l’analyse comme je l’ai soutenu au début de ce texte.

J’ai été un acteur de premier plan de la transition en présidant le comité de rédaction des avant-projets de textes fondamentaux, notamment la Constitution. Je suis fier d’avoir eu le privilège d’apporter ma modeste contribution à mon pays. J’ai rempli ce rôle sans calcul et en restituant au Trésor à la fin de nos travaux, les 2,6 millions de francs cfa qui restaient du budget d’environ 7 millions qui nous a été initialement attribué. Les allégations qui circulent actuellement me touchent et j’écris ici à ce titre. Mais elles concernent aussi l’ensemble des acteurs qui ont joué un rôle majeur dans la transition car on imagine bien que si vraiment 400 milliards ont disparu, cela fait beaucoup d’argent, difficile à ramasser et cacher sous le matelas d’un seul. Tous devraient se sentir visés, s’exprimer et envisager une action pour que la vérité soit faite, les coupables s’il y en a punis et, s’il s’avère qu’il ne s’agit que de diffam ation comme je le crois, engager les poursuites judiciaires appropriées. Ces poursuites, si elles devaient être engagées, s’étendraient d’ailleurs à toutes les personnes qui, depuis quelques semaines, transforment ces supputations en faits dans les médias, portant ainsi sans preuves de graves accusations contre les acteurs de la transition.

Personnellement, je n’ai aucune objection à ce que notre gestion soit auditée. Mais dans ce cas, ce serait dommage de s’arrêter en si bon chemin. Il faudrait alors étendre l’audit à l’ensemble des régimes militaires et civils de l’ère des transitions démocratiques. Si vraiment on veut faire œuvre de salubrité économique, il faut un audit des 20 dernières années de gestion de notre pays, soit de 1993 à nos jours car cela n’a jamais été fait à ma connaissance et beaucoup de gens qui demandent des comptes ont eux-mêmes des comptes à rendre.

Au regard des commentaires et allégations qui continuent de défrayer la chronique, je dirai donc trois choses pour me résumer:

-D’abord, la personne qui a laissé entendre que 400 milliards de francs FCA auraient disparus du Trésor après le coup d’État de février 2010 doit être entendue afin, soit de se dédire, soit d’identifier les éventuels auteurs pour qu’ils soient punis, qui qu’ils soient, et les fonds récupérés. A défaut de fournir la preuve de ces allégations ou de les démentir, et si cette somme a bien existé ailleurs qu’au Trésor, cette personne doit s’expliquer sur sa provenance et poursuivie aussi bien pour détournement de fonds que pour diffamation par les personnes fondées à se constituer partie civile, notamment les acteurs principaux de la transition;

-Ensuite, un audit, pourquoi pas, mais pas un audit sélectif et instrumentalisé. Si on s’y engage, il n’y a aucune raison de ne pas l’étendre à tous les régimes qui se sont succédé après le général Ali Saibou, car les allégations n’en ont épargné aucun et je suis certain que plusieurs acteurs de ces périodes seraient heureux d’être blanchis. S’ils ne le sont pas, ils devraient, qui qu’ils soient je le répète et quel que soit le régime, subir les rigueurs de la loi.

-Enfin, ce moment est propice pour qu’on révise le dispositif juridique nigérien dans deux sens : d’une part, on peut institutionnaliser à compter de maintenant un système régulier d’audit indépendant comme nous l’avons d’ailleurs suggéré pendant la transition à travers la création d’un Vérificateur général. D’autre part, on peut durcir le dispositif juridique en matière de corruption et de détournement de deniers publics. Ces crimes doivent être imprescriptibles, les sanctions renforcées et le juge lié en ce qui a trait à l’application des peines. Celles-ci pourraient aller aussi loin que nécessaire comme on le voit dans des pays où, pour corruption, on peut perdre sa liberté, son éligibilité et sa nationalité, voire payer le prix suprême.

Mamoudou Gazibo Professeur titulaire de science politique à l’Université de Montréal Ancien coordonnateur du comité des textes fondamentaux sous la transition de 2010

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