Lecture rapide
- Aminata Garba a su saisir la chance que lui ont donnée ses parents de poursuivre ses études
- Elle étudie la manière dont les TIC peuvent aider à gérer plus efficacement l’agriculture et l’eau
- Pour elle, on doit bannir les clichés et laisser les filles choisir librement les études qui leur plaisent
Par: Julien Chongwang
Au nombre
des vingt lauréats de la deuxième édition du Next Einstein Forum (NEF), tenue
en mars 2018 à Kigali au Rwanda,
se trouvaient vingt femmes. Parmi elles, une seule était originaire d’Afrique
subsaharienne francophone, en l’occurrence Aminata Garba, du Niger.
Titulaire d’un diplôme d’ingénieur en génie électrique et informatique, et d’un
PhD en génie électrique, elle a un parcours atypique qui l’a conduite à faire
de la recherche et de l’enseignement, ainsi qu’à travailler dans les secteurs
public et privé.
Elle a notamment dirigé l’Autorité de régulation multisectorielle au Niger,
travaillé à Orange Niger, à l’Institut national de la recherche scientifique de
Montréal (Canada) et au Centre national de la recherche scientifique (France),
avant de rejoindre l’université Carnegie Mellon pour l’Afrique, à Kigali, où
elle enseigne actuellement.
Interrogée par SciDev.Net, Aminata Garba livre les
recettes de son modèle
de réussite scolaire, académique et professionnelle.
Vous avez été l’un des lauréats du NEF en mars 2018 à Kigali. Quels sont vos champs de recherche de prédilection ?
J’ai été lauréate du NEF, non pas sur la base d’un projet spécifique, mais pour
mes travaux en général, aussi bien dans l’enseignement que dans la recherche et
dans les autres secteurs. Les sujets de recherche qui m’intéressent le plus ont
trait à l’utilisation des TIC
dans l’agriculture,
dans la gestion de l’eau,
dans la gestion de l’énergie,
etc.
“De manière générale, pour les femmes et les jeunes filles qui veulent s’orienter vers les secteurs scientifiques et techniques, quelquefois dans nos pays, ce sont les opportunités qui manquent.”
Aminata Garba
Mon intérêt principal est de développer les secteurs clés de
nos économies, en utilisant les TIC. Un autre point sur lequel j’ai beaucoup
travaillé dernièrement consiste à mettre en place des politiques qui permettent
de développer les TIC en Afrique, en particulier dans les zones rurales. Voilà
les deux principaux domaines pour lesquels j’ai beaucoup d’intérêt pour le
moment.
Pouvez-vous citer un exemple de la façon dont les TIC peuvent servir dans l’agriculture et dans la gestion de l’eau ?
Un exemple concret est l’agriculture de précision. Par exemple, on sait que le Niger
est un pays aride et semi-aride. Il ne pleut pas assez. Alors, pour que
l’agriculture puisse se développer et pour qu’on puisse subvenir aux besoins de
la population et même plus, il faut que l’agriculture cesse d’être archaïque.
Pas seulement qu’elle soit mécanisée, mais il faut qu’on crée des techniques
d’irrigation. Un projet qui m’intéresse particulièrement consisterait à créer
un système d’irrigation susceptible de prendre des informations du sol, pour
déclencher l’utilisation de l’eau. Ainsi, on va économiser l’eau pour
n’utiliser que la quantité qui est nécessaire pour cette irrigation.
Comment ?
En utilisant des capteurs ou détecteurs dans le champ. Ce
capteur va prendre les données
relatives au sol et les envoyer au niveau d’un serveur qui, alors, pourrait
déclencher l’irrigation. Cela permet de développer l’agriculture avec plusieurs
avantages. Premièrement, on n’utilise pas beaucoup d’eau ; deuxièmement, on
utilise juste la quantité d’eau nécessaire ; troisièmement, on agit en fonction
des caractéristiques du sol. On peut ainsi choisir aussi le type de plantes à
cultiver. C’est un exemple d’utilisation des TIC pour le développement de
l’agriculture ; mais il y en a plein d’autres.
Comment promouvoir une telle technologie avec la cherté des coûts des télécommunications en Afrique ?
Les communications
sont chères en Afrique pour plusieurs raisons. Dans les zones rurales par
exemple, c’est un défaut d’infrastructures parce que celles-ci n’y arrivent
pas. C’est le cas de la fibre optique. Et si on décide d’utiliser le satellite,
c’est souvent trop cher. Donc, il faut trouver de nouveaux mécanismes pour
avoir des infrastructures qui ne soient pas dispendieuses et qui puissent être
utilisées dans certaines zones. Mais lorsque je parle d’un système
d’agriculture qui utilise les TIC, ça peut être un système local. Les capteurs
peuvent envoyer l’information sur le plan local. Donc, on peut créer un réseau
local pour l’agriculture de précision, sans recourir au réseau mobile de
télécommunications. Toutefois, ce réseau local peut être une bonne option dans
des endroits où le réseau existe et est bon marché. Ainsi, la réponse à cette
préoccupation n’est pas précise. Elle va dépendre de là où on est ou encore de
l’application que l’on veut utiliser. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a
une réelle motivation à faire en sorte que les prix des communications baissent
en Afrique, parce que si on veut démocratiser l’utilisation des
télécommunications, il faut des prix abordables. Il y a plusieurs façons de
faire baisser les prix : par exemple en réduisant les taxes sur les
télécommunications, sur les smartphones, sur les ordinateurs, ou en donnant des
incitations aux opérateurs des services mobiles, etc. Donc, il y a plusieurs
mécanismes qui doivent être mis en place, y compris une politique
générale nationale qui doit aussi montrer que c’est un besoin urgent et
nécessaire de baisser les coûts des communications.
Peut-on y ajouter aussi la nécessité pour les pays africains de fabriquer eux-mêmes les équipements de communication ?
Définitivement ! En fabriquant effectivement eux-mêmes les équipements et en
créant eux-mêmes les innovations.
Parce que les appareils que les opérateurs et les usagers utilisent la plupart
du temps sont importées, à savoir les téléphones mobiles, les technologies, les
systèmes, les ordinateurs, etc. La connaissance-même est importée parce que
pour installer ces équipements, on fait souvent appel à des experts extérieurs…
Alors, ce qu’il y a à faire, c’est de développer la capacité locale. Si nos
pays créent les équipements et les appareils, on assistera tout de suite à une
baisse des coûts. Mais en attendant, je pense que la politique qui doit être
mise en place est très importante, au même titre que l’éducation,
afin de développer les capacités pour faire cela.
Parlant d’éducation justement, comment êtes-vous parvenue à pousser si loin vos études quand on connaît les contraintes des jeunes filles dans les sociétés musulmanes africaines comme celles de votre Niger natal ?
Pour moi, il y a eu vraiment un soutien de la part de ma famille. Donc, ça n’a
pas du tout été difficile. J’ai été très chanceuse d’avoir le soutien de ma
famille, en particulier celui de mon père. Il était enthousiaste et il m’a
beaucoup conseillée et encouragée. Donc, j’ai grandi dans une famille où
j’avais tout le soutien nécessaire pour poursuivre mes études dans le domaine
de l’ingénierie.
Je sais que ce n’est pas le cas partout, notamment dans les zones rurales où
certaines jeunes filles n’ont même pas la chance d’aller à l’école ou de rester
dans le système éducatif, ce qui est dommage. Mais, pour moi, cela a été
relativement facile. Je viens d’une famille nombreuse où on est huit et j’ai
une sœur médecin, un frère expert-comptable, deux autres sœurs qui sont comptables,
une autre jeune sœur qui est ingénieur en informatique, etc.
En avril dernier à Kigali, le professeur Garba a effectué une sortie remarquée dans le cadre du débat sur la promotion de l’innovation, à travers l’économie numérique africaine – Crédit Photo : CMU Africa.
On a tous grandi dans cet esprit d’éducation et nos parents nous ont tous
encouragés chacun à aller dans sa voie. Il ne s’est trouvé personne pour nous
décourager. En ville, beaucoup de gens, beaucoup de jeunes filles ont la chance
que j’ai eue. Mais, encore une fois, quand on va dans les zones rurales et dans
les zones éloignées de la capitale et des grandes villes, ce n’est pas
forcément le cas. Et je pense qu’il faut éduquer les gens dans ces zones pour
qu’ils encouragent les jeunes filles à aller vers ce qu’elles veulent faire
pour leur futur.
Pourquoi avez-vous choisi l’ingénierie et pourquoi les télécommunications plutôt qu’un autre domaine ?
J’ai vraiment voulu faire de l’ingénierie. C’est l’une des choses qui m’ont
poussée à aller étudier à l’étranger. Parce qu’il n’y avait pas beaucoup
d’écoles d’ingénieurs au Niger, à l’époque. Il y avait l’école de médecine
qui avait une bonne réputation, ainsi que la faculté des sciences, mais il n’y
avait presque pas d’école en génie électrique et informatique en ce moment-là.
Je voulais faire quelque chose qui n’était pas abstrait. J’ai fait un
baccalauréat C, avec dominantes les mathématiques et la physique. J’aimais les
maths et j’avais d’ailleurs commencé la première année en maths. Seulement, je
trouvais que c’était un peu abstrait et je voulais que ce soit un peu plus appliqué.
C’est ce qui m’a poussée à aller vers l’ingénierie, en me disant que j’allais
utiliser les maths pour créer des choses, et l’ingénierie, particulièrement le
génie électrique, constituait une bonne combinaison entre les maths et la
pratique.
Comment avez-vous surmonté les clichés qui tendent à orienter les femmes surtout vers les filières littéraires ?
Heureusement, je n’ai pas eu ce problème du tout. Quand j’étais encore au
collège, j’étais assez forte en mathématiques. C’était donc tout à fait naturel
pour moi de poursuivre mes études dans une filière scientifique. Je ne sais pas
comment c’est arrivé, mais, j’avais quand même une certaine aisance en
sciences, en maths et en physique. C’était des matières qui étaient un peu plus
faciles à comprendre et à assimiler pour moi. Donc, c’était devenu pour moi le
chemin qu’il fallait naturellement suivre. Je n’ai pas eu à forcer pour aller
dans le domaine scientifique.
Quels sont les principaux obstacles que vous avez rencontrés durant votre parcours scolaire, académique et professionnel et comment les avez-vous contournés ?
J’ai fait mes études jusqu’au baccalauréat au Niger. Après, j’ai été au Canada
où j’ai poursuivi mon cursus jusqu’au diplôme d’ingénieur et où j’ai obtenu mon
master et mon PhD. A ce niveau, il y avait déjà un changement de système entre
celui du Niger, qui s’apparente au modèle français et le système
nord-américain. Il a fallu s’adapter. Cette transition n’était pas très facile.
Et puis quand j’ai commencé à faire le génie électrique et l’informatique, il
fallait tout de suite coder. Et cela, je ne l’avais jamais fait auparavant
quand je faisais ma série scientifique au Niger. Donc, tout de suite, il
fallait s’adapter à l’ordinateur, savoir coder et aller très vite pour
rattraper le retard.
Plus tard, alors que j’étais déjà dans le cycle d’ingénieur, je me suis rendu
compte qu’il n’y a pas beaucoup de femmes
en génie électrique et informatique. Elles représentaient peut-être 20 à 25%
seulement des effectifs. Et plus on allait loin, plus ce nombre de femmes
diminuait. Malheureusement, ce problème persiste encore aujourd’hui. Dans ma
carrière académique, je constate qu’il y a aussi très peu de femmes
professeurs, surtout dans les domaines techniques. Mais il y a certains
facteurs dans nos systèmes qui ne sont pas favorables aux femmes. Et je
souhaite que quelque chose soit fait pour que les femmes puissent faire ce qu’elles
veulent, tout en gardant la liberté.
Quels sont ces facteurs qui limitent le nombre de femmes dans les filières scientifiques et techniques ?
Il y a encore des stéréotypes. Peut-être qu’à la base, quand les filles
grandissent, on leur dit d’aller vers d’autres secteurs plutôt que vers des
secteurs scientifiques et techniques. Il y a que certaines femmes n’aiment tout
simplement pas les filières techniques. Et c’est normal. Si quelqu’un n’aime
pas quelque chose, il ne doit pas le faire. Mais, de manière générale, pour les
femmes et les jeunes filles qui veulent s’orienter vers les secteurs
scientifiques et techniques, quelquefois dans nos pays, ce sont les
opportunités qui manquent. Si elles ont l’accès à l’éducation qui leur permet
d’arriver là, elles vont le faire tout naturellement. J’ai été très privilégiée
d’avoir grandi dans un environnement qui m’a beaucoup encouragée et j’ai eu
l’opportunité d’aller étudier en ingénierie, alors qu’il y avait très peu
d’écoles d’ingénierie en ce moment à côté de moi. Il faut que dans nos pays,
ces opportunités existent pour ces jeunes filles, qu’elles aient par exemple
des bourses qui leur permettent d’étudier.
C’est important d’avoir plus de filles dans ce secteur parce que dans chaque
secteur, on veut avoir un équilibre. On sait que dans l’innovation par exemple,
les femmes et les hommes ont des points de vue souvent complémentaires. Du
coup, en ayant moins de femmes dans ces domaines, on risque d’avoir des
innovations qui ne tiennent pas forcément compte des femmes. Je prends
l’exemple de la ceinture de sécurité dans les voitures. Quand une femme est
enceinte, elle se demande si elle a été conçue pour elle. Comme vous le voyez,
avoir les deux points de vue, c’est important.
Diplômée des universités de Laval et de McGill au Canada, comment vous retrouvez-vous enseignante à l’université Carnegie Mellon University Africa au Rwanda, plutôt qu’à l’université Abdou Moumouni de Niamey ?
D’abord, je suis panafricaine. J’aimerais bien enseigner à l’université de Niamey.
Pendant longtemps, l’université Abdou Moumouni n’avait pas de formation en
génie électrique et informatique. L’option que j’avais était peut-être de
rejoindre la faculté de mathématiques et de mathématiques appliquées. Mais,
j’ai préféré continuer en ingénierie. Mais ça n’exclut pas que je me retrouve à
l’université Abdou Moumouni ou dans une autre université africaine demain. Quoi
qu’il en soit, être à Carnegie Mellon Africa me donne beaucoup de joie de
travailler en Afrique et de contribuer au développement du continent. C’est une
très bonne université qui accueille des étudiants venant d’un peu partout en
Afrique. Elle est basée au Rwanda, mais son objectif est d’avoir des étudiants
venant de tout le continent.
Vous avez travaillé dans des instituts de recherche au Canada et en France, puis à l’Autorité de régulation multisectorielle au Niger, ensuite à Orange Niger, avant de vous retrouver maintenant à l’université Carnegie Mellon Africa au Rwanda. Comment expliquez-vous une si grande instabilité professionnelle ?
C’est n’est pas de l’instabilité professionnelle, mais un enrichissement
professionnel. J’avais travaillé au Canada et en France dans la recherche
et à un moment, j’avais voulu rentrer en Afrique pour voir ce que je pouvais
apporter comme modeste contribution au développement du continent. C’est ce qui
explique mon retour au Niger, où j’ai travaillé pour le régulateur, donc pour
le secteur public. Cela a été pour moi une très grande fierté parce que c’est
comme si je rendais un service public et c’était très important pour moi. Par
ailleurs, le génie informatique et électrique c’est quelque chose qui me
passionne vraiment et c’est pour cela que j’enseigne dans ce secteur. Donc,
pour moi, c’est un enrichissement en expériences…
Quels enseignements en avez-vous tiré ?
Comme vous le voyez, il y avait des postes dans la recherche, dans le secteur
public, dans le secteur privé et dans l’enseignement. J’ai pu apprendre à
connaître comment fonctionne chacun de ces secteurs et ça n’a fait que
m’enrichir, parce que je peux vraiment parler du secteur public, du secteur
privé et de la recherche que je fais encore. L’enseignement principal que j’en
retiens est que tous ces secteurs sont complémentaires. Ils forment un
écosystème qui a besoin de chacune de ces composantes. En plus de ces secteurs,
il y a les consommateurs, les usagers, les populations qui constituent
l’élément clé de cet écosystème et c’est autour de cet élément clé que
gravitent tous ces secteurs, parce que tous sont là pour servir la population.
Donc, il est très important dans un pays qu’on développe aussi bien le secteur
public que le secteur privé, qu’on crée des opportunités aussi bien dans le
secteur privé que dans le secteur public. Et je pense que tout passe par
l’éducation et il est très important que nous mettions tous les moyens
nécessaires dans notre système éducatif pour le renforcer et permettre aux
jeunes de saisir toutes les opportunités. C’est comme cela qu’on peut profiter
de la richesse qu’on a en Afrique aujourd’hui et qui est la jeunesse. C’est la
plus grande richesse qu’on a aujourd’hui ; et on ne peut l’exploiter qu’à
travers l’éducation. Et pour cela, il faut des écoles, des enseignants bien
formés, des ressources, des équipements, de l’innovation… Il faut leur donner
l’opportunité de créer leurs entreprises,
d’innover et d’inventer.
Comment vous organisez-vous entre vos responsabilités d’enseignant-chercheur et vos obligations familiales ?
Quand on commence une carrière académique, on essaie de faire beaucoup de
choses : publier, enseigner, faire de la recherche… Tout cela prend beaucoup de
temps et trouver cet équilibre n’est pas facile. Mais comme en toute chose, il
est très nécessaire de trouver cet équilibre…
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes filles qui souhaiteraient suivre votre modèle de réussite académique et professionnelle ?
Le conseil que je leur donnerais, et il est très simple, c’est de suivre ce qui
les intéresse, ce qu’elles ont envie de faire. C’est très important. Et
qu’elles sachent qu’il n’y a pas de limites à ce qu’elles peuvent faire. C’est
vraiment ce qu’elles veulent faire et qu’elles ont décidé de faire qui est bien
pour elles. Si ma fille aujourd’hui me dit qu’elle n’aime pas le génie
électrique et informatique parce que c’est trop masculin, je vais la comprendre
et l’encourager ensuite à faire ce qu’elle veut faire. Donc, ce que je peux
dire aux jeunes filles, c’est de rêver à ce qu’elles veulent faire et de faire
tous les efforts pour y arriver. Elles ont la capacité de le faire et elles ne
doivent pas être distraites ou découragées.
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