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Dr Kamayé Maâzou, secrétaire exécutif du Conseil National de l’Environnement pour un Développement Durable (CNEDD)

Cnedd
Réchauffement climatique, changement climatique, la situation est devenue ces dernières décennies un sujet de préoccupation mondiale. Et les informations sur ces phénomènes sont de plus en plus alarmantes, une situation angoissante d’autant plus que les termes du débat ne sont pas compris par tout le monde.

Dans cette interview, Dr Kamayé Maâzou, Enseignant-chercheur depuis 1992 au Département de Physique de la Faculté des Sciences et Techniques de l’Université Abdou Moumouni de Niamey, actuellement secrétaire exécutif du Conseil National de l’Environnement pour un Développement Durable (CNEDD) au niveau du Cabinet du Premier ministre, répond à nos questions relativement aux changements climatiques, leurs conséquences, ainsi que sur les négociations en vue d’un nouvel accord sur le Climat.

Dr Kamayé Maâzou, quelles différences faut-il voir entre changement climatique et réchauffement climatique ?
Le changement climatique ou dérèglement climatique est une modification à long terme (de la décennie aux millions d’années) des paramètres statistiques (températures, précipitations, vitesses des vents, …) du climat global de la Terre ou de ses divers climats régionaux. Cette modification peut être due à des processus naturels intrinsèques la Terre elle-même, à des influences extérieures ou à des activités humaines comme l’a prouvé récemment les études scientifiques par le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC).

Explicitement, le réchauffement climatique désigne une augmentation de la température moyenne de la surface de la Terre. Il constitue l’indicateur principal du changement climatique. Il est dû au piégeage entre la surface de la Terre et l’Atmosphère par certains gaz dits gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, protoxyde d’azote, CHC, HFC, …), du rayonnement infrarouge émis par la Terre lorsqu’elle reçoit le rayonnement solaire. En tout état de cause, les deux phénomènes sont intimement liés.
Qu’il soit responsable ou pas du réchauffement climatique, aucun pays de la planète n’est à l’abri de ses effets néfastes. Monsieur le secrétaire exécutif du CNEDD, jusqu’à quel degré le Niger est affecté par ce fléau mondial qu’est le réchauffement climatique ?
Dans l’absolu, il est difficile de donner une appréciation quantitative du degré auquel notre pays est affecté par les changements climatiques, car cela nécessite de calculer les coûts de leurs impacts sur divers secteurs socio-économiques. Cependant, il est aisé d’avoir une appréciation qualitative à partir des manifestations vécues des changements climatiques dans notre pays. En effet, les études des séries chronologiques des paramètres climatiques depuis les années 1950 montrent : une baisse des précipitations; un déficit pluviométrique ces dernières années en moyenne de l’ordre de 20 à 30 % par rapport à la période 1961-1990 aux stations de Niamey, Agadez et Gaya ; un glissement des isohyètes d’environ 200 km du Nord vers le Sud ; une réduction de la longueur des saisons des pluies ; une diminution des débits des cours d’eau ; la disparition de certaines mares ; une réduction drastique de la superficie du Lac Tchad ; une tendance à la hausse des températures moyennes maximales et minimales ; des sécheresses récurrentes, des inondations de plus en plus fréquentes, etc.
Les impacts négatifs subséquents directs sont la diminution de la productivité agricole, des déficits agricoles fréquents ; la disparition de certaines ressources forestières et floricoles, le dérèglement du cycle végétatif, l’érosion de la biodiversité avec toutes les conséquences socio-économiques que cela engendre, surtout si on se met à l’esprit que la majeure partie de la population de notre pays tire son revenu des activités agro-pastorales ; l’exode rural ; les conflits entre éleveurs et agriculteurs ; l’augmentation de la demande énergétique, l’accroissement des besoins en eau pour la consommation et l’irrigation, etc.
Est-ce qu’aujourd’hui, les populations des pays comme le Niger qui sont des victimes innocentes des effets néfastes du réchauffement climatique, sont conscientes de la cause de leurs problèmes ?
Vous savez, nul n’a besoin d’une étude anthropologique pour comprendre que chez nous, tout malheur provient de Dieu qui, par inobservance par nous d’une prière ou d’un sacrifice envers lui, nous envoie son châtiment. C’est le cas ici des changements climatiques. Ceci étant dit, je réponds par l’affirmative, pour dire que ces populations commencent à comprendre les choses.

Car, depuis plus de deux décennies, le Secrétariat Exécutif du CNEDD et d’autres institutions nationales, les partenaires techniques et financiers et les acteurs de la société civile, entreprennent des actions d’éducation, d’information et de sensibilisation du public sur la question. Il ne faut pas négliger le rôle que jouent les technologies de l’information et de la communication accessibles même aux villages les plus reculés, qui ne cessent de diffuser des éléments de sensibilisation à ce sujet. Mais, il reste encore une majeure partie de la population, même pas dans notre pays, qui reste sceptique quand on essaie de lui faire comprendre que  »l’Homme » est la cause principale du réchauffement climatique. Je voudrais à ce sujet vous raconter une anecdote.

Lors d’une réunion de l’Association des Municipalités du Niger tenue à Maradi, j’ai fait une communication au cours de laquelle j’ai présenté les résultats de l’inventaire national des gaz à effet de serre. Lorsque j’ai informé l’assistance que l’agriculture, y compris l’élevage, est le plus grand émetteur des gaz à effet de serre dans notre pays, tout le monde s’est écrié. Et pourtant, c’est la réalité, car l’agriculture y compris l’élevage, est émettrice du méthane et du protoxyde d’azote, deux gaz à effet de serre à pouvoir de réchauffement global élevé.

La lutte contre le réchauffement climatique est un combat mondial, et les grands pays industrialisés sont surtout les plus attendus sur ce front, compte tenu de leur responsabilité présumée par rapport à la situation. Peut-on dire que le Niger, comme d’autres pays, est un pays passif dans cette lutte ?
Permettez-moi de faire un commentaire par rapport à cette expression que vous avez utilisée dans la question à savoir  »leur responsabilité présumée ». La question de la responsabilité des uns et des autres par rapport au réchauffement climatique a été l’une des pierres d’achoppement au moment de la négociation et l’adoption, en 1992, de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC). Malgré la réticence de certains pays industrialisés, la question a été réglée par l’article 3 paragraphe 1 des principes ainsi stipulé :  » … Il incombe aux Parties de préserver le système climatique dans l’intérêt des générations présentes et futures, sur la base de l’équité et en fonction de leurs responsabilités communes, mais différenciées et de leurs capacités respectives. Il appartient, en conséquence, aux pays développés Parties d’être à l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes ».
Dans son essence, ce principe a une valeur  »intrinsèque » ou  »morale », lorsqu’il vise à reconnaître que la responsabilité de certains pays est plus grande que celle d’autres pays dans la création d’un problème qui touche la communauté internationale dans son ensemble, que les capacités actuelles des pays en développement ne leur permettent pas de limiter les impacts environnementaux de leur développement et que ces pays ont des besoins prioritaires en matière de développement économique, de survie, de santé et d’éducation.

Et depuis, les pays industrialisés ne désarment pas, car, à chaque cycle de négociations, ils reviennent sur cette notion et demandent qu’on l’extirpe de la CCNUCC. Et, à chaque fois, les pays en développement s’y opposent. Ce fut le cas dans le cadre des négociations de l’accord qui sera en principe adopté à la fin de cette année à Paris. Cette expression figure bel et bien dans le projet de texte adopté en fin 2014 à Lima, puis amendé en février 2015 à Genève et le 11 juin dernier à Bonn.

Pour répondre maintenant à votre question, je dirais que le Niger n’est pas passif dans la lutte ou plus précisément les négociations sur les changements climatiques. A preuve, notre pays a signé et ratifié la CCNUCC ainsi que le Protocole de Kyoto qui l’accompagne pour marquer à la communauté internationale sa détermination et sa coopération pour la lutte contre les changements climatiques.

Cela s’est traduit du point de vue institutionnel par la mise en place du CNEDD appuyé par un Secrétariat Exécutif que j’ai l’honneur de diriger actuellement, du Ministère en charge de l’Environnement et d’autres structures de mise en œuvre. Cela a permis l’élaboration et la mise en œuvre de plusieurs politiques, stratégies, programmes et projets à ce sujet. En outre, notre pays appartient à des groupes régionaux et internationaux de négociations sur les changements climatiques comme le Groupe Africain des Négociateurs, le Groupe des Pays les Moins Avancés et le G77+Chine.

Pensez-vous que le Niger et les autres pays africains auront leur mot à dire à la conférence de Paris de décembre prochain ?
Je viens de dire que notre pays appartient au Groupe Africain des Négociateurs qui, grâce à l’appui de l’Union Africaine et d’autres partenaires, dispose d’une stratégie de négociations, arrête les positions et parle d’une seule voix lors des différents forums de négociations sur les changements climatiques. Au demeurant, ce groupe a peaufiné, depuis la conférence de Copenhague en 2009, un texte de négociations sur les changements climatiques appelé  »Position Commune Africaine » qui est aujourd’hui l’une des plus cohérentes.

Amendé par les ministres africains en charge de l’Environnement puis porté par les Chefs d’Etat et de Gouvernement, ce texte trace la voie à suivre et les positions à défendre lors des négociations, en ce qui concerne les principaux piliers (atténuation, adaptation, financement, développement et transfert de technologies, développement et renforcement de capacités) et les autres sujets émergents et nouveaux comme les pertes et dommages, l’équité, le genre, les droits humains, pour ne citer que ceux-là. Il est important de souligner que le Groupe Africain des Négociateurs met à jour régulièrement la position commune africaine et les messages clés subséquents en fonction de l’évolution de la Science.

Enfin, il faut préciser qu’il n’est pas interdit qu’un pays, qu’une sous-région, défende sa spécificité au sein d’un groupe de négociations, pourvu que cela recueille la compréhension des autres membres du groupe. C’est là un des sens de l’atelier organisé en avril dernier à Niamey sur les Contributions Prévues Déterminées au niveau National (CPDN) pour tenir compte des spécificités des pays membres du CILSS et de la CEDEAO, notamment en ce qui concerne l’adaptation, l’agriculture, la sécurité alimentaire et la gestion durable des terres, somme toute précisées dans la déclaration adoptée lors de l’atelier.
Que peut-on attendre de ce sommet dont la tenue est très médiatisée ?
Si on regarde chronologiquement la question des choses, on peut être optimiste. Aujourd’hui, même les plus grands  »climato-sceptiques » comme les grandes compagnies productrices du pétrole (BG Group, BP, Eni, Royal Dutch Shell, Statoil et Total), ont fini par se convaincre qu’il faut agir pour éviter le péril. En témoigne leur lettre ouverte aux gouvernements et aux Nations Unies signée le 1er juin dernier dans laquelle elles disent ce qui suit :  »Le changement climatique est un défi crucial pour notre monde. En tant que grandes entreprises du secteur du pétrole et du gaz, nous reconnaissons à la fois l’importance du défi climatique et l’importance de l’énergie pour la vie et le bien-être humains.

Nous reconnaissons que la tendance actuelle des émissions de gaz à effet de serre dépasse ce que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime nécessaire pour limiter la hausse de la température à 2 degrés Celsius au-dessus des niveaux préindustriels. Le défi est de savoir comment répondre à une demande accrue d’énergie avec moins de CO2. Nous sommes prêts à jouer notre rôle. Il est possible d’agir pour le climat plus rapidement, si les gouvernements tarifient le carbone plus fermement et s’ils relient le tout dans un système global qui fixe un prix adéquat sur les coûts environnementaux et économiques des émissions de gaz à effet de serre ».

Formellement, on peut répondre par l’affirmatif, si on s’en tient à plusieurs repères scientifiques dont entre autres : le 5ème rapport du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) qui indique que pour maintenir la hausse de la température moyenne de l’atmosphère terrestre en dessous de deux degrés Celsius d’ici la fin du siècle, nous devons réduire nos émissions des gaz à effet de serre de 10% par décennie ; le rapport de la Banque Mondiale qui met en évidence le fait qu’un réchauffement de 1,5 degré Celsius par rapport à l’ère industrielle parait inéluctable.

Le rapport précise que les sécheresses et l’élévation du niveau de la mer, le potentiel de destruction des ondes de tempêtes et les pertes agricoles, affecteront les populations du monde entier, en particuliers les plus pauvres; le rapport de l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) qui alerte que si les émissions des gaz à effet de serre produites continuent à augmenter, la température moyenne de l’atmosphère terrestre pourrait augmenter de quatre degrés Celsius à la fin de ce siècle ; le rapport du PNUE  »Adaptation Gap report, 2014 » illustre l’importance croissante de ce sujet dans les négociations internationales sur le climat ; décrit l’écart entre les besoins pour l’adaptation et les efforts déployés actuellement sur la période 2010-2050, et préconise l’adoption d’un cadre stratégique pour l’adaptation articulé autour d’indicateurs et d’objectifs clairs qui permettraient d’évaluer les progrès et les manques des politiques d’adaptation.
Ces différents repères ont incité à la prise de conscience de la gravité du phénomène qui a eu pour effet de pousser à l’action. C’est ça l’esprit de la déclaration de Lima qui a adopté le projet de texte à Paris.

Peut-on espérer que cette réunion soit décisive dans la lutte contre les changements climatiques et ses effets, ou bien ce ne sera qu’un sommet de plus ?
J’ai déjà dit plus haut que les conditions sont aujourd’hui créées et les esprits préparés pour que le sommet de Paris soit concluant. Ce d’autant plus qu’à partir des résultats du sommet organisé en septembre 2014 à New York par le Secrétaire Général de l’ONU, Monsieur Ban-ki Moon, et qui a mobilisé toutes les parties, tous les acteurs pour catalyser l’action, et ceux de la conférence de Lima, pour la première fois au monde, toutes les parties sont unanimes sur la nécessité d’aboutir à un accord mondial ambitieux, juste et équitable sur le climat pour éviter le péril climatique.

Qui plus est, elles se proposent d’apporter chacune sa pierre comme contribution dans la construction de cette œuvre par la préservation de notre bien commun. Pour la première fois aussi, toutes les parties sont d’accord sur la trajectoire de développement à suivre pour éviter ce péril : mise en œuvre des politiques de développement sobre en carbone et résilient aux changements climatiques. Par ailleurs, plusieurs rencontres et forums de haut niveau sont prévus d’ici décembre pour amplifier les chances d’aboutir à cet accord attendu de tous. Du reste, tous les acteurs sont disposés à participer à ces grands évènements.
Souley Moutari(onep)

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