Des émirs aux rois, les chefs traditionnels du Nigéria sont de plus en plus humiliés par les hommes politiques – et tournés en dérision par les jeunes qui les considèrent comme les représentants d’ une institution archaïque.
Le dernier exemple est la destitution brutale de l’émir de Kano, Muhammad Sanusi II.
Le gouverneur de l’État a invoqué ses pouvoirs constitutionnels pour détrôner l’émir après l’avoir accusé d ‘ »insubordination ».
Personne ne connaît le nombre de monarques dans le Nigeria multiethnique, mais ils semblent avoir leur mot à dire sur chaque centimètre de terre, ce qui les met souvent en désaccord avec les hommes politiques qui ont une autorité constitutionnelle.
Les chefs traditionnels du Nigéria conservent une énorme influence dans de nombreuses régions du pays, mais les événements récents ont amené certains jeunes à remettre en question le rôle de la monarchie au 21e siècle.
M. Sanusi est le cas le plus médiatisé de plusieurs affaires ces cinq derniers mois au cours desquelles des hommes politiques ont publiquement rappelés à l’ordre des monarques ou aller contre les actions de certains dirigeants traditionnels. Ce qui suscite des questions sur l’importance de ces monarchies.
Destitution de style colonial
M. Sanusi a été renvoyé pour « manque total de respect » envers les institutions et le bureau du gouverneur, a indiqué le gouvernement.
Mais en vérité, son renvoi a été l’aboutissement d’une longue bagarre avec le gouverneur de l’État de Kano, Umar Ganduje, une figure puissante du parti au pouvoir, le congrès des progressistes (APC).Ses proches estiment que l’émir s’attendait à sa destitution mais pas à son expulsion vers l’État voisin de Nasarawa que ses avocats ont décrit comme une « pratique archaïque » de l’ère coloniale.
Après avoir obtenu une décision de justice, il a retrouvé sa liberté, mais les modalités de son renvoi et de sa détention ultérieure ont montré le véritable équilibre des pouvoirs entre les politiciens et les dirigeants traditionnels.
« Il n’y a aucun moyen de concilier l’idéologie féodale fondée sur le règne d’une dynastie et le lien de parenté avec l’application d’une constitution républicaine moderne », a déclaré le Dr Jare Oladosun, professeur agrégé d’histoire à l’Université Obafemi Awolowo du Nigéria.
De son point de vue, c’était une contradiction insurmontable qui favorise la démolition de la monarchie.
« Vous ne pouvez pas avoir les deux, un seul », a-t-il déclaré.
Pour beaucoup, la destitution de M. Sanusi a confirmé ce qu’ils soupçonnaient depuis longtemps – que les monarques du pays ne sont que des chefs symboliques sans véritable pouvoir.
Ne secouez pas la tête quand le gouverneur parle.
La constitution du Nigéria n’a aucun rôle pour les dirigeants traditionnels, mais ils sont néanmoins largement respectés en tant que gardiens de la religion et de la culture.
Et cela peut être vu comme une forme de pouvoir.Olutayo Adeshina, professeur d’histoire à l’Université de Lagos, a déclaré qu’en s’engageant à respecter la culture « en protégeant, en préservant et en promouvant les valeurs traditionnelles », la constitution nigériane reconnaît le rôle important des chefs traditionnels.
« Les chefs traditionnels possèdent un pouvoir latent dont les politiciens ont peur, d’où la tension entre les deux.
« S’ils ne sont pas pertinents, les politiciens les ignoreraient. Mais vous les ignorez à vos risques et périls », a-t-il déclaré.
Mais quiconque a regardé une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux en janvier se demanderait si les politiciens ont encore beaucoup de respect pour les chefs traditionnels.
Un roi de l’État de Rivers, dans le sud du Nigeria, a été publiquement ridiculisé pour avoir secoué la tête pendant que le gouverneur Nyesom Wike parlait.
Le gouverneur s’est acharné sur le roi lors d’un rassemblement de dirigeants traditionnels, provoquant le rire de ceux qui étaient dans la pièce.
« Vous portez juste quelque chose de plus grand que vous … pour violer le protocole. »
Le gouverneur se moquait de la robe traditionnelle du monarque et de sa somptueuse couronne.
Des rois bagarreurs
Au cours de la même semaine où l’émir Sanusi a été renvoyé à Kano, les dirigeants traditionnels du sud-ouest de l’État d’Ekiti ont été mêlés à une confrontation avec le gouverneur qui a nommé un oba (roi yoruba) à la tête du conseil traditionnel.
Un groupe de 16 obas locaux n’était pas satisfait de l' »ingérence » et s’est tenu à l’écart des fonctions de l’État, suite à une lettre austère du gouverneur qui les accusait d’insubordination.
En novembre 2019, la Cour suprême du Nigéria a détrôné un autre oba, dans l’État d’Oyo, déclarant illégal le processus de son ascension au trône.
Samuel Adebayo-Adegbola, qui était l’Eleruwa d’Eruwa, avait passé 21 ans sur le trône avant d’être contraint de démissionner au motif qu’il n’était pas membre de l’une des deux maisons dirigeantes de la ville dont c’était le tour de choisir un successeur en 1994.
Le trône reste vacant.Mais ce ne sont pas toujours les hommes politiques qui dénigrent la monarchie au Nigéria – les actions de certains dirigeants traditionnels les ont également mis sous le feu des projecteurs.
En février, l’Oluwo d’Iwoland, Abdulrasheed Akanbi, un oba flamboyant et controversé dans l’État du sud-ouest d’Osun s’est engagé dans une bagarre publique avec un autre monarque, Dhikrulahi Akinropo, Agbowu d’Ogbaagbaa.
Les esprits se sont chauffés lors d’une réunion pour régler un différend foncier et Oba Akanbi purge actuellement une suspension de six mois pour son rôle dans l’altercation.
« Tendance traditionnelle »
Mais certains monarques sont déterminés à gouverner d’une manière appropriée.
La page Instagram d’Oba Akanbi est un album d’images très colorées et dans un article, il parle des « rois du 21ème siècle ».
« Vous pensez que les rois ne peuvent pas être » swag « !! Les rois du 21e siècle comme moi vous surprendront !!! Vous vous êtes trompés si vous pensez que les rois sont juste des vieux en loques, tristes, qui ne peuvent pas danser, qui pratiquent du vaudou, qui sont effrayant, qui ne peuvent pas s’amuser et sont ennuyeux !!! » a-t-il publié.
Mais une telle « tendance traditionnelle » n’a pas fait son chemin parmi les jeunes et beaucoup ont profité de la déchéance de l’émir à Kano pour critiquer la monarchie.
« Des rois qui n’ont aucune autorité, aucune armée, qui ne combattent pas, ne portent aucune responsabilité pour le développement ou la prospérité de leur milieu.
« Pourtant, nous nous livrons à ce fantasme pitoyable qu’ils sont en tant que rois, tout puissant et qu’ils ont accomplis de grandes choses à l’époque. Très drôle », a déclaré cet utilisateur.