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Connaitre l’hépatite et ses conséquences à travers le Pr Roger Sombie, hépato-gastro-entérologie

Un mal méconnu en général du public, or il  tue à petit feu avec un taux de prévalence de 10% au niveau national. Ce mal est l’hépatite B. Dans cette interview, le médecin hépato-gastro-entérologue au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU-YO), Pr Roger Sombié, lève le voile sur cette maladie qui est la première cause du cancer de foie au Burkina  Faso. Lisez plutôt !

« Le Pays » : Qu’est-ce que l’hépatite ?

Pr Sombié Roger : L’hépatite signifie inflammation du foie qui est une réponse normale de l’organisme quand il est agressé. L’agresseur au niveau du foie peut être l’alcool, des médicaments ou des virus ; dans ce cas, le foie va réagir normalement, pour essayer de se débarrasser de l’agresseur. C’est ce qu’on appelle hépatite, et dans ce cas précis, l’agent en cause,  est le virus de l’hépatite B qui est  le plus fréquent au Burkina Faso.

Existe-t-il plusieurs sortes d’hépatites ? Si oui, lesquelles ?

Oui. En effet, il existe 5 types qui sont les hépatites A, B, C, D et E. Ce sont des virus qui ont la particularité, une fois qu’on est infecté, d’aller se loger dans le foie ; on dit que ce sont des virus qui ont un hépato-tropisme. Mais, il y a d’autres virus qui peuvent donner des atteintes du foie, mais cela est secondaire et s’inscrit dans le cas d’une maladie plus générale affectant le foie.  Parmi ces 5 virus, les virus A et E ne donnent pas de maladie chronique, et lorsqu’on guérit, on est immunisé et protégé tout le reste de la vie. Alors que dans le cas des hépatites B, C et D, on peut en guérir c’est vrai, mais si l’organisme n’a pas réussi à se débarrasser du virus, l’infection peut devenir chronique et cela peut durer toute la vie. Toutefois, infection chronique ne veut pas dire que c’est grave, mais juste une infection de longue durée et le patient peut se débarrasser du virus un jour.

Quelle est la forme la plus fréquente au Burkina Faso ?

C’est l’hépatite B qui est la plus fréquente au Burkina Faso. Les virus des hépatites existent dans le monde entier, mais en fonction des régions, il y a un virus plus fréquent que d’autres. Chez les Occidentaux, il y a environ 30 ans, le virus de l’hépatite B était plus fréquent que le virus C mais, grâce à la recherche scientifique, un vaccin contre l’hépatite B a été découvert et a permis de bloquer toutes les nouvelles infections. Le Burkina Faso est dans la phase où c’est le virus de l’hépatite B qui est le plus fréquent, mais si on renforce la sensibilisation et si on vaccine tous les nouveau-nés, on pourra réduire la fréquence de l’hépatite B.

Quelles sont les personnes les plus exposées à l’hépatite B ?

Tout le monde est potentiellement exposé. C’est une erreur de penser parfois qu’en théorie, on ne fait pas partie du groupe à risque, car on ne choisit pas d’être malade. Mais, c’est vrai que les personnes les plus exposées sont celles de l’entourage d’une personne porteuse du virus, notamment les femmes enceintes qui peuvent contaminer leurs enfants et aussi  les professionnelles du sexe qui ont plusieurs partenaires.

Pour une femme enceinte  qui découvre qu’elle est atteinte de l’hépatite B, y a-t-il des moyens pour que l’enfant qu’elle porte ne soit pas contaminé ?

Absolument, c’est l’une des voies prédominantes de la persistance de l’infection virale B en Afrique. Pendant la grossesse, la contamination du bébé est très rare quand l’enfant est dans le ventre, mais c’est au moment de l’accouchement que le risque de contamination de l’enfant est important. Il y a deux éléments importants au niveau de la contamination pendant l’accouchement, qui entrent en jeu, notamment la charge virale, c’est-à-dire la quantité de virus qui circule dans le sang de la mère, car plus cette charge virale est élevée, plus l’enfant est  exposé. Le 2e paramètre est la durée du travail. Si l’accouchement est long et difficile, à ce moment, l’enfant souffre. Il peut y avoir des lésions muqueuses et  l’enfant risque d’être contaminé. Un autre facteur est que si la maman est excisée et qu’il y a eu des complications séquellaires lors de l’excision, le travail va être plus long. Donc, ce sont des facteurs qui majorent les risques de contamination de l’enfant.

 Que faut-il faire alors dans ce cas ?

Il faut prendre des mesures pour éviter que l’enfant soit contaminé. Il faut faire le test de l’hépatite B à toutes les femmes enceintes, au premier trimestre de la grossesse. Dans le cas où les examens montrent que le résultat est négatif chez la femme enceinte, il faut tout de même s’assurer qu’elle est immunisée et si ce n’est pas le cas, on la vaccine pour la protéger contre le virus; et j’insiste pour dire que la femme enceinte peut être vaccinée contre le virus de l’hépatite B. L’enfant de cette femme doit être aussi vacciné contre le virus de l’hépatite B le jour de l’accouchement, dans les 12 à 24 heures comme le recommande l’OMS. Dans le cas où les tests, au premier trimestre de la grossesse, montrent que la femme est infectée, on doit faire l’examen de la charge virale pour voir si le virus se multiplie et la quantité du virus qui circule dans le sang. Cela est un examen très important, pour savoir si le risque de contamination du bébé est élevé. Dans le cas où la charge virale est élevée chez la mère, on met un traitement antiviral au 3e  trimestre de la grossesse, pour bloquer la multiplication du virus et réduire la quantité dans le sang chez la mère. Le jour de l’accouchement, on fait une sérovaccination qui est une injection d’anticorps à l’enfant, qui aura une efficacité immédiate. Au cas où il y a quelques particules virales passées chez l’enfant, les anticorps neutralisent le virus et on procédera à la vaccination de l’enfant, le jour même de sa naissance. Le  principe  de la vaccination est de permettre à l’enfant de produire des anticorps lui-même, pour se protéger. Je recommande fortement de faire un contrôle de la réponse vaccinale chez l’enfant né d’une mère infectée, afin de s’assurer de sa non- contamination. J’insiste pour dire qu’on doit vacciner tous les enfants contre l’hépatite B à la naissance, que la maman soit infectée ou pas.

Est-ce que le virus de l’hépatite B peut causer des malformations chez le nouveau-né ?

 Le virus de l’hépatite B n’entraîne pas de malformation fœtale ni d’accouchement prématuré. Disons que l’infection B chronique et grossesse font bon ménage. La seule exception est que si la maladie se révèle, c’est-à-dire que si la femme fait une infection aiguë qui est agressive, cela peut avoir des conséquences sur la grossesse. Et surtout si la femme fait une hépatite  aiguë au 3e trimestre de sa grossesse, le risque de contamination du bébé est plus important.

Pourquoi l’hépatite B évolue-t-elle de façon différente d’une personne à l’autre ?

Dans l’hépatite  B, le mécanisme principal de la maladie est notre organisme qui réagit et reconnaît les cellules du foie où il y a le virus et fait tout pour éliminer les cellules infectées. Le facteur clé, c’est la réponse immunitaire, car c’est notre propre organisme qui fait le travail. Le virus lui-même est très peu agressif pour le foie. Lorsqu’il est dans la phase aigüe, l’organisme réagit rapidement, efficacement et arrive à éliminer toutes les cellules infectées, chose qui se passe en moins de 6 mois et la personne est guérie. Mais ceux qui ont un organisme qui n’a pas  été suffisamment efficace pour éliminer le virus, 6 mois après, le virus sera toujours présent et c’est ceux-là qu’on appelle des porteurs chroniques, parce que leur système immunitaire n’a pas été efficace. Mais si leur système immunitaire se réactive, ils peuvent arriver à nouveau à neutraliser le virus. C’est pour dire que le porteur chronique peut un jour guérir spontanément de l’hépatite chronique, même si la proportion est rare, car plus on réagit efficacement au début, mieux ça vaut et le facteur clé de la longue durée d’infection est lié à l’âge de l’infection ; c’est tout simplement pour dire que si on est infecté à bas-âge où à la naissance, le virus va s’installer et durer souvent toute la vie, dans 90% des cas, mais si on est infecté à l’âge adulte, on guérit dans plus de 90% des cas. Et c’est le cas d’ailleurs chez les Occidentaux. L’infection est acquise à l’âge adulte (usagers de drogues en intra-veineux si partage de seringues, et les rapports sexuels non protégés entre hommes), car, l’infection là-bas est rare, compte tenu du  fait qu’on vaccine tous les enfants à la naissance. Or, chez nous, au Burkina Faso, c’est le contraire, parce que l’infection est fréquente  et les enfants sont vaccinés deux mois après la naissance. Chose qui permet à la maladie de gagner du terrain.

Quel est l’état des lieux de la maladie au Burkina Faso ?

Actuellement, selon les tests faits pour la sécurité transfusionnelle au niveau de la banque de sang comme référence, il y a 4 marqueurs qui se font à ce niveau, notamment le VIH qui est de 1%, c’est-à-dire que sur 100 poches de sang, il y a 1% de VIH positif. Le taux du virus de l’hépatite C est de 5%. Par contre, celui de l’hépatite B au niveau national est de 10%. Et selon les régions du Burkina Faso, si on fait le test de l’hépatite B, il y a des régions où on est à 17%, voire 20%. Donc, c’est l’infection la plus fréquente dans notre pays actuellement, mais elle est silencieuse et ne présente pas de signe. L’OMS répartit la situation en  3 zones : celle où la prévalence est moins de 2%, elle est qualifiée   de très faible, celle entre 2 et 8% est dite moyenne et celle de plus de 8% est dite très élevée. Or, le Burkina Faso est à 10%. Donc, cela veut dire qu’on fait partie des zones où la fréquence est très élevée.

L’hépatite B est-elle guérissable ?

Il faut faire la distinction entre le sujet qui est infecté et celui qui fait l’hépatite et qui a une anomalie du bilan sanguin, c’est-à-dire que son foie souffre et ses transaminases sont anormales. Dans ce cas, on dit que la personne a une hépatite et c’est récemment  qu’a été faite cette distinction. La différence est qu’au niveau du sujet infecté, c’est l’antigène HBs qui est positif (test qu’on fait pour savoir si on a le virus ou non). Et le 2e test qu’on fait pour savoir si le virus est actif ou pas, c’est celui des transaminases. Si elles sont normales, on a une infection et non une inflammation. Dans ce cas,  le sujet n’a pas l’hépatite. Car l’hépatite, c’est celui qui a l’antigène HBs positif avec des transaminases anormales.  L’évolution de la maladie dépend, comme déjà dit, du système immunitaire, c’est-à- dire système qui nous protège contre les infections, et varie d’une personne à une autre. Donc, il faut suivre chaque patient, avec un recul pour bien le classer (infection ou hépatite ?).

Qu’en est-il du schéma vaccinal de l’hépatite B?

Le schéma vaccinal simple que je recommande de façon générale, ce sont les trois injections. On fait la première injection Jour 0, le premier jour. Un mois après la première injection, on fait la 2e et 6 mois après la première injection, on fait la 3e. Un mois après la 3e injection, le patient fait une prise de sang pour voir la réponse vaccinale et s’il a produit plus de 10 unités, il est protégé toute la vie. Mais quelqu’un qui n’a pas respecté le schéma vaccinal ne doit pas recommencer les vaccins, car ceux qu’il a faits sont toujours efficaces et il suffit de continuer sans aucun problème.

Combien peut coûter la prise en charge du vaccin ?

On a deux présentations, c’est-à-dire la dose adulte et celle enfant. La dose adulte fait 7 700 F CFA par vaccin et celle enfant fait 4 700 F CFA par vaccin.

Est-ce que la maladie est connue de l’opinion publique ?

L’hépatite, de façon générale, est méconnue des populations, mais aussi du corps médical et paramédical. Il y a un manque d’information et de formation sur l’hépatite B au sein de la population et pour cela, il faut un grand travail de sensibilisation, de formation et d’éducation. Mais, il faut que ces actions soient soutenues par un plan stratégique de lutte contre les hépatites pour accompagner et faciliter le bilan diagnostic et le traitement. Il y a des programmes de lutte contre le paludisme, la tuberculose, le Sida qui aident les patients, mais au niveau de l’hépatite B, il est vrai que les choses avancent, mais le plan qui a été adopté n’est pas mis en œuvre pour les malades. Tout compte fait, on espère que les choses iront mieux pour la prise en charge des malades, car c’est un problème de santé publique et la première cause du cancer de foie au Burkina.

Quels sont les moyens de prévention de l’hépatite B?

 C’est surtout la sensibilisation, l’information, notamment la communication et l’éducation des populations pour qu’elles sachent ce que c’est que la maladie et ce qu’il faut faire comme test pour savoir si l’on est infecté ou pas. Mais, surtout montrer à ces populations ce qu’il faut faire pour éviter d’être infecté, par le vaccin qu’on a la chance d’avoir, qui est disponible depuis 1981 et qui protège contre le cancer du foie. Je rappelle que le virus B est  la première cause  du cancer du foie dans notre pays. Il est nécessaire que les personnes ne connaissant pas leur statut, fassent un dépistage avant la vaccination.

 A l’instar des autres pays, le Burkina Faso célébrera la Journée internationale contre l’hépatite. Quel commentaire  cela vous inspire-t-il ?

C’est une belle initiative. Il n’y a pas longtemps que cette journée a été instituée, mais elle est salutaire de la part de l’OMS. Toutefois, il faut   joindre l’acte à la parole,   la théorie à la pratique. Par exemple, au niveau du VIH/Sida, il y a un programme, c’est-à-dire un accès facile pour le traitement, mais il n’y a rien dans ce sens pour le virus de l’hépatite B. Donc, il faut mettre en œuvre un plan national efficace qui, concrètement, fera baisser les coûts des examens et permettra aux malades de se faire dépister facilement. Car, le problème se trouve au niveau du diagnostic. Le bilan diagnostic coûte cher par rapport au traitement qui, lui, est accessible. Le bilan minimum coûte 150 000 F CFA et le maximum tourne autour de 300 000 F FCA pour un bilan diagnostic complet.

Autres commentaires à faire ?

L’infection virale B est un problème de santé dans le monde, et elle perdure dans notre pays, car la majorité des infections surviennent en bas-âge où même à la naissance, car c’est une transmission de la mère à l’enfant. Si on arrive à dépister toutes les femmes enceintes et à vacciner rigoureusement tous les enfants à l’accouchement, on bloquera toutes les nouvelles infections. J’insiste sur le fait que les femmes positives fassent la charge virale et au besoin, il faut mettre à leur disposition un traitement antiviral au 3e trimestre, plus le vaccin et le sérum à faire au nouveau-né, question de réduire la fréquence de l’infection virale B au Burkina Faso. C’est ainsi que nous protégerons nos générations futures contre le cancer du foie.

Valérie TIANHOUN Le Pays

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