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Journalisme et prédation politique

C’est une nouvelle réalité : Les lecteurs nigériens s’indignent et s’offusquent régulièrement contre « les performances » de la presse écrite de leur pays. Propagation de fausses nouvelles, attaques gratuites, intox, clanisme, culte excessif de la personnalité du « sponsor », blackout sur la véritable information, insuffisances techniques et méthodologiques, … sont ses traits distinctifs parmi les plus récurrents et les plus décriés.

 

« Journaleux » est désormais le terme consacré pour qualifier « les tirailleurs » de la plume que nous sommes. Mieux, les « écrivaillons » sont accusés d’avoir pleinement contribué à l’avènement de la crise politique actuelle. Il y a lieu alors de se poser quelques questions : Les journalistes nigériens sont-ils des prédateurs politiques au même titre, voire même plus, que les politiciens ? Quel a été le rôle joué par les journalistes dans la crise politique actuelle? Ya-t-il des raisons qui conditionnent les journalistes nigériens à exercer dans la médiocrité ? Radioscopie d’une « petite jungle » où chacun cherche son « manzer » !

 

 

Des plumes agressives … « Kay les journalistes, ku ji tsoron Allah ! » ( en Haoussa : vous les journalistes, ayez peur de Dieu !). C’est en ces termes que s’insurgent quotidiennement les « cyber-nigériens » devant l’avalanche ininterrompue d’écrits les uns plus incendiaires et incomestibles que les autres.

 

A en croire certaines littératures journalistiques, la fin du Niger, c’est pour bientôt : Une annonce sur un probable attentat sur une haute personnalité; l’apologie d’un coup d’état par ci ; description apocalyptique par là ; attaques directes et gratuites sur les personnes du PR et du PAN, pourtant les deux plus hautes personnalités du pays par ci ; prédictions sur une probable « cessation de paiement » de l’état par là ; … tout passe ces derniers temps dans la presse privée nigérienne. Les contenus sont des plus pessimistes et partisans, des plus alarmistes et mensongers. Jamais la presse nigérienne n’a atteint un tel degré de fébrilité, d’agressivité et même de polarisation. En effet et à regarder de près, la crise politique actuelle a été entretenue et imposée comme telle à l’opinion par la presse et les médias dans leur ensemble.

 

Les médias ont été abondamment utilisés pour dire ou pour étaler publiquement ce dont les politiciens ne pouvaient se reprocher ou se dire en face. La presse écrite en particulier était devenue et continue à l’être, le bras armé des hommes et des clans politiques. Utilisés et manipulés comme des mercenaires, chaque camp dispose de son armada de « tirailleurs de la plume » qui tirent aveuglement sur tout ce qui bouge dans le camp adverse. Cela a occasionné beaucoup de blessures de part et d’autre, beaucoup de ressentiments, beaucoup de frustrations qui ont finalement dégénéré et contribué à l’implosion de la MRN au pouvoir ainsi qu’à celle des partis de l’opposition.

 

Telle pouvait se décliner la contribution de la presse dans le « bordel politique » actuel. Une grande responsabilité, il faut le reconnaitre ! Aussi paradoxale que cela puisse paraitre, c’est Hama Amadou, dans l’un des ses traditionnels « discours très attendus » qui a été le premier à dénoncer les dérives de la presse dont il se servait abondamment contre le Président de la République en particulier. Victime lui-même d’attaques régulières, Il avait très tôt ressenti le danger que représentait la presse dans la cohésion de la MRN. Rien n’a été fait depuis pour réconcilier les deux « rédactions ». Le résultat est que, plus que jamais, les camps sont tranchés et « la guerre médiatique » entre la MRN et l’ARDR est ouverte. Ce faisant, la presse continue, plus que jamais, à jouer son funeste rôle de catalyseur de crise.

 

En clair, la presse nigérienne est en train d’opérer une sortie de route dangereuse qui peut à terme, profondément altérer la cohésion nationale. ….

 

Et alimentaires Pourquoi la presse nigérienne, censée jouer le rôle de 4ème pouvoir, se laisse-t-elle manipuler par les hommes politiques ? Parce que dans un premier temps, une bonne partie, sinon la plus grande partie, de nos « titres » sont fondés par des hommes politiques ou par des partis politiques. Derrière chaque journal (mis à part Le Souffle) se dresse un homme ou un parti politique qui fait office de sponsor. Remarquez d’ailleurs que les « journaux indépendants » sont en train de disparaitre un à un, parce que même la publicité qui les fait vivre est devenue politique.

 

Une situation bien ambigüe et embarrassante qui oblige le journal et ses journalistes, tels des griots, à ne chanter que les louanges de leur « parrain » et à brocarder ses adversaires réels ou imaginaires. Dans les faits, les journaux nigériens se comportent comme des « journaux de partis » et non des « journaux d’informations générales et d’analyse ». Voila qui pourrait expliquer la polarisation dans laquelle évolue la presse nigérienne. Ajouter dans le même registre, la propension qu’ont les journalistes nigériens à se rabaisser pour jouer les courtisans.

 

C’est plus qu’une évidence, les confrères passent la majeure partie de leur temps à courir derrière les politiciens. Nous sommes presque dans tous les « iné-iné » (Rumeurs en Zarma), si nous ne sommes pas à la base. Ce qui explique pourquoi plus de 80% (?) des contenus de la presse nigérienne sont politiques. Le manque d’ambition, saine ambition s’entendant, est un trait assez répandu chez les journalistes nigériens. Le journaliste qui invente du mensonge, celui qui attaque sans preuve et sans raison, ce journaliste là n’a aucune ambition de devenir une plume célèbre dans son pays. Voila qui explique le jeu infamant de « mercenaire de la plume » auquel se livre, sans vergogne, une bonne partie de nos confrères. Car il faut le leur concéder, la chasse aux politiciens paye plus que les ventes et les pubs réunies.

 

Il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d’œil (jaloux ?) dans le parking de certaines rédactions pour constater qu’il ya un hiatus évident entre l’embourgeoisement de certains journalistes et leur véritable capacité journalistique pour ne pas dire intellectuelle. Ce qui pose un problème de fond. Celui de l’éthique et de la déontologie. Il n’ya pas de doute là dessus: Ces valeurs-là encore largement méconnues par la junte journalistique nigérienne.

 

Toutes ces dérives ont des conséquences directes sur la qualité de nos journaux. La qualité plastique de nos titres est tout simplement lamentable. En 20 ans d’évolution, les journaux nigériens sont restés au même stade que les avaient laissé les Ibricheck et autres précurseurs dans le domaine. Les journaux paraissent toujours en bicolore pour ne pas dire en noir et blanc, alors que dans la sous région, tous les journaux sont en couleur. L’écriture est quant à elle plus que lamentable. Les textes servis sont infestés de coquilles monstrueuses et manquent totalement de finesse. Ce qui les rend souvent difficile à lire et donc incompréhensibles. Les analyses inutilement alambiquées se traduisent par une structuration désordonnée et un faible niveau intellectuel. Que fait la Régulation ? Il faudra rappeler que la presse nigérienne jouit d’une immunité presque parfaite sous cette 7ème République.

 

Avec une constitution qui sacralise et protège le métier de journaliste, un Président de République signataire de « la Montagne des Tables », la presse nigérienne baigne dans la liberté la plus totale. C’est une avancée notable pour ce pays. Sauf qu’il ya des ratées, des dérives et des sorties de routes fréquentes qui entachent la crédibilité de la filière et rejaillit sur l’image même du pays. Et c’est ici que le devoir de régulation du CSC (Conseil Supérieur de la Communication) est interpelé. Le plus grand challenge de cette institution est de déconnecter la presse des circuits politiques. Pour déconnecter la presse nigérienne du sillage des politiciens et la rendre plus apte à jouer son véritable rôle dans la société, le CSC doit aider, dans un premier temps, les journaux et les médias à s’autonomiser en les structurant en véritables entreprises commerciales.

 

Car dans la réalité socio économique, les journaux et les média d’une manière générale, sont considérés comme des « entreprises culturelles ». Regardez autour de vous, combien de journaux disposent d’un registre de commerce (RC) et d’un numéro d’identification fiscale (NIF) ? Un travail doit être fait par le CSC et l’APEIC (Agence de Promotion des Entreprises et Industries Culturelles) pour sortir la presse nigérienne de l’informel. Autonomiser les journaux passe également par l’assemblage d’un certain nombre de conditions dont entre autre, l’accès aux crédits bancaires, mais surtout la définition d’une nouvelle politique nationale de communication qui obligerait toutes les institutions et tous les projets à accroitre leur budget en communication et à communiquer sainement. En France par exemple, selon une directive datant de 1987, le budget de communication de tous les projets de développement est porté à 10% du montant global du projet. Au Niger, il ya même des projets qui n’ont pas de budget de communication. Le fonds d’aide à la presse dans sa configuration actuel ne vise qu’à renflouer les poches de certains responsables des médias. De nouvelles formules doivent être édictées pour permettre aux « petits journaux » comme Le Souffle de ne pas manquer de souffle.

 

La régulation doit également stimuler la compétition positive entre les médias en instituant des prix pour récompenser les meilleures émissions, les meilleurs articles, les meilleurs journalistes, les meilleurs journaux, les meilleurs managers, etc. Telle que ça se passe actuellement personne ne sait qui est quoi. Et c’est très dommage et dommageable pour une filière d’élite de ne posséder ni de « madougou » ni de locomotive pour la tirer vers des lendemains plus éclairés.

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