Alors qu’il ne tarit pas d’éloges sur ses propres performances en matière d’équipement et d’armement des Forces de défense et de sécurité (FDS), le gouvernement de Mahamadou Issoufou vient d’avoir la claque de sa «vie». Et ça vient d’un membre de la maison. Militant notoire du Pnds et journaliste, on ignore en fin de compte quelle robe Mamane Abou a endossée pour démentir, violemment et sans gants, les déclarations officielles tendant à soutenir, avec des chiffres qui donnent parfois le tournis, que les FDS nigériennes n’ont jamais été aussi bien outillées, en termes d’armements et d’équipements divers, que sous la 7e République. Utilisant les colonnes du Républicain, un journal qu’il a fondé il y a plus de 20 ans, Mamane Abou n’est pas passé par quatre chemins pour étaler des informations qui font doublement mal au régime du Président Issoufou. D’une part, elles mettent à nu le mensonge grossier selon lequel des dizaines de milliards sont annuellement dépensés pour l’armement et l’équipement des FDS, et d’autre part, elles sont, dans certains de ses aspects de nature à saper le moral des troupes.
Alors que le gouvernement se flatte d’avoir fait mieux et plus que tous les régimes passés, Maman Abou dénonce le détournement des fonds publics destinés à l’armement et à l’équipement des FDS.
Le Président Issoufou, les ministres de la Défense successifs, ceux de l’Intérieur et occasionnellement tous ceux qui, par les circonstances du moment, ont eu à parler de la question, ont régulièrement soutenu, avec beaucoup de prétention et de vanité, que les FDS sont presque gâtées si l’on doit se fier à leurs armements et équipements. Eh bien, Maman Abou dément. « Il faudrait, dit-il, que l’impôt consenti par le contribuable à travers le budget national pour la sécurité soit effectivement investi pour cette fin ». Et pour ne pas laisser la moindre chance à une interprétation erronée de ses dires, le fondateur du Républicain précise « qu’on préfère s’adonner au prospère achat des toyota 4X4 qui rapporte gros pour entretenir une certaine clientèle que d’investir dans ces hélicos qui sont au garage ». Mamane Abou n’est pas homme à user de la langue de bois. Il va alors enfoncer le clou en accusant ouvertement le ministre de la Défense, KallaMoutari, si fier, d’affairisme. « La tendance, apprend-on, c’est que le ministre de la Défense passe plus son temps à recevoir de grands commerçants rabatteurs des contrats que de s’occuper des problèmes réels de l’armée comme cette question importante d’hélicoptères ». Par-delà la personne de Kalla Mourari qu’il flingue sans état d’âme, Maman Abou déshabille carrément le gouvernement, y compris le Président Issoufou dont le discours est aux antipodes de ces révélations détonantes. En montrant la face hideuse de la politique sécuritaire, qu’il dit plombée par un affairisme débridant qui fait passer les priorités et les urgences au second plan, voire dans les placards, Maman Abou lève un coin du voile noir dont le régime couvre la réalité. N’est-ce pas douloureux pour les Nigériens de savoir que, en plus d’ignorer royalement leurs revendications pour des investissements conséquents dans les secteurs sociaux de base, le régime ne se soucie guère de créer les conditions militaires et matérielles pour que les FDS puissent juguler le terrorisme et le banditisme transfrontalier ? Maman Abou ne se contente pas de critiquer et d’accuser. Pour convaincre, il se drape de faits. Ainsi évoque-t-il ces toyota 4X4 achetés par le ministère de la Défense à 35 millions de francs CFA l’unité et qui peuvent revenir à l’État à 23 millions, soit 12 millions de francs CFA qui ne justifient pas.
Saper le moral des troupes et livrer aux publics des informations frappées du sceau de « secret-défense » ? Un espion ne ferait pas mieux que ce qui est livré dans les colonnes du Républicain du jeudi 21 mars 2019.
Maman Abou n’a pas fait que dénoncer l’affairisme débridé qui se cache derrière ces inscriptions budgétaires massives à coups de dizaines de milliards de francs CFA et prétendument destinés à l’armement et à l’équipement des FDS. Il dévoile une situation désastreuse qui peut saper le moral des troupes. D’emblée, il écrit que « selon des informations, si on n’y prendre garde, l’armée nigérienne risque de ne plus disposer d’avion pour accomplir sa mission régalienne ». La mise en garde de Maman Abou est fondée sur le fait que « trois hélicoptères sont garés en attente de réparation depuis belle lurette » et que « l’état de ces appareils nécessite une intervention en Russie pour leur remise en état opérationnel ». Ces informations peuvent démoraliser des troupes régulièrement attaquées et qui peuvent se sentir dépourvues de moyens adéquats de couverture et de poursuite. Mais il y a pire. Outre que, par leur nature sensible, ces informations publiées peuvent saper le moral des troupes, elles peuvent également faire mal. N’est-ce pas violer un secret-défense que de dévoiler l’état des forces réelles des FDS de son pays ? Dans un contexte sécuritaire aussi critique que celui que vit le Niger actuellement, les informations endossées par Maman Abou et publiées par voie de presse sont dangereuses. L’intéressé précise d’ailleurs que « l’armée de l’air se trouve présentement privée de cinq (5) appareils volants du seul fait de la négligence de l’autorité compétente » et que « même le seul chasseur Sukhoï opérationnel présentement n’est pas loin de sa période de révision ». Un espion ne ferait pas mieux que ce qui est livré dans les colonnes du Républicain du jeudi 21 mars 2019.
Les dessous de l’affaire
Maman Abou, qui a évoqué des faits pour étayer ce qu’il écrit, a sans doute d’autres arguments et preuves de l’affairisme qu’il dénonce. Kalla Moutari peut, donc, craindre pour lui puisque son accusateur en appelle pratiquement à l’arbitrage du Président Issoufou qui ne saurait lui être favorable. Cependant, derrière cette publication aux allures de plaidoyer pour les FDS se cache en réalité des choses vilaines. L’article le laisse paraître nettement. « Mais, malgré la demande incessante, les autorités de tutelle feignent de ne pas en faire une priorité en dépit des défis du moment ». L’alerte est donnée. Il ne s’agit pas tant de se plaindre de l’état d’armement et d’équipement des FDS que d’agiter une menace afin d’amener Kalla Moutari à réagir comme attendu. Et la stratégie a consisté à opposer ses façons de faire au bon vouloir du Président Issoufou dont les instructions et la volonté seraient bafouées par le ministre de la Défense. Une forme de rébellion que ne saurait tolérer Mahamadou Issoufou et sur laquelle souffle intentionnellement Maman Abou. Non seulement le patron de la Nouvelle imprimerie du Niger (NIN) indique que la maintenance des appareils doit se faire en Russie (?) ¯ Pourquoi précisément en Russie ? ¯ mais il souligne aussi que c’est parce que, dit-on, « les Russes ne donnent pas de commissions » qu’on ne se bouscule pas pour la réparation des hélicoptères en question ». Il y a manifestement une affaire dans l’affaire. Pour les démêler et tracer les motivations de cet article que Maman Abou a pris sur lui d’endosser, il faut aller au-delà des faits tels qu’ils sont exposés. Il faut, en un mot, disséquer les connexions établies pour comprendre la tragédie qui se joue sur le dos des FDS et des populations nigériennes. Selon des informations dignes de foi, jusqu’à une date récente, le marché de la maintenance des appareils volants et l’achat de matériels militaires pour le compte de l’armée de l’air nigérienne a toujours été la chasse gardée de l’état-major de cette section de l’armée. Une chose que Kalla Moutari a tenu à corriger en récupérant cette prérogative de son département ministériel. Maman Abou a-t-il été utilisé pour faire peur au ministre de la Défense et l’amener à laisser le statuquo ? Ce qui est certain, par cet article au contenu explosif et par la signature apposée au bas de la page, c’est une salve d’avertissement à Kalla Moutari, histoire de lui dire : « attention, nous pouvons aller plus loin que ça ! ».
Le silence coupable du Parquet…et de la Halcia
Pourquoi Maman Abou s’intéresse- t-il tant à cette affaire au point de publier des secrets de défense ? Pour nombre d’observateurs, ces informations auraient envoyé les journalistes et médias mal-pensants du régime derrière les barreaux. Pour le cas de Maman Abou, le Parquet n’a rien trouvé à dire. Et si le Parquet fait semblant de ne rien remarquer, ce n’est pas, la minuscule et ridicule Halcia qui va s’aventurer dans ces sables mouvants où se battent des éléphants.
Laboukoye
30 mars 2019
Source : Le Courrier