POINT DE VUE – Le cycle électoral que vient de vivre le Niger devait offrir à ce pays la première passation pacifique du pouvoir entre deux présidents. Finalement, c’est aussi à une montée des tensions et à un tour de vis que l’on assiste.
Le cycle électoral qu’a vécu le Niger de décembre 2020 à février 2021, devait offrir aux citoyens de ce pays la première passation pacifique du pouvoir entre deux présidents. Finalement, c’est à une montée des tensions et à un tour de vis que l’on assiste. Bilan : plus de 400 militants de l’opposition et le leader du parti Lumana Hama Amadou incarcérés ; internet coupé pendant dix jours ; des résultats électoraux contestés et un climat sécuritaire dégradé. L’annonce d’un coup d’Etat le 31 mars, deux jours avant l’investiture du nouveau président renforce encore l’inquiétude. L’horizon s’assombrit.
Un champ politique conflictuel et polarisé
Rappelons-le lors de la précédente élection présidentielle de 2015, le vernis de la transparence électorale et de l’équité de la campagne s’est déjà largement fissuré. Mahamadou Issoufou qui briguait un second mandat, n’avait aucun adversaire sérieux face à lui. Emprisonné dans le cadre d’une affaire de trafic présumé d’enfants, Hama Amadou, son principal rival, n’avait pas mené campagne au 2nd tour. Le président sortant, élu en 2011 pour incarner l’espoir d’un renouveau démocratique, obtenait alors le score de 92,51% des voix.
La campagne présidentielle de 2015 a contribué à climat de haine et une polarisation de la vie politique. Les tensions politiques se sont accrues avec la volonté manifeste du PNDS au pouvoir de régler son compte au parti d’Hama Amadou, Lumana, puis aux acteurs de la société civile accusés à chaque tension sociale d’être des suppôts de l’opposition politique. Ces acteurs qui tentent de jouer un rôle de critique constructive de la vie publique nigérienne se heurtent à un pouvoir en place recroquevillé sur lui-même : si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous. La récente déclaration de Mohamed Bazoum fustigeant le mouvement Tournons La Page au Niger sur les ondes de la Deutsche Welle, en est la parfaite illustration. C’est pourtant ce même mouvement qui en octobre 2019 félicitait Mahamadou Issoufou pour son respect de la limitation de mandats ou qui tout au long de l’année 2020 insistait sur la nécessité du dialogue entre les partis politiques pour éviter tout conflit électoral. Le PNDS et le gouvernement, enfermés dans une vision binaire du champ politique ont contribué à la montée des tensions.
Impunité et corruption des puissants
Dans un pays marqué par un très fort taux de pauvreté et des inégalités sociales immenses, les scandales de corruption[1] (la société civile a documenté 40 affaires emblématiques touchant le pouvoir entre 2015 et 2019) et la criminalité économique qui impliquent la classe politique et économique dirigeante alimentent une forte défiance envers le jeu politique. La dénonciation des scandales de corruption a conduit des militants de la société civile à de nombreux mois de prison en 2019 puis 2020, tandis que les principaux hommes d’affaires proches du parti au pouvoir demeuraient libres malgré les preuves de détournements[2]. Cette situation n’a pu que faire grandir le sentiment d’une justice à double vitesse et du règne de l’impunité au plus haut niveau.
Les actes corruptifs qui défraient la chronique sont d’autant plus
insupportables pour nombre de Nigériens qu’ils impliquent des
surfacturations et malversations des fonds destinés à la lutte
antiterroriste. L’insécurité progresse depuis plusieurs années, au point
de plonger une grande partie du territoire sous Etat d’urgence et de
frapper jusqu’aux portes de la capitale Niamey. Des proches du pouvoir,
notamment l’homme d’affaires dit « Petit Boubé » se sont enrichis
massivement grâce à l’effort de guerre, tandis que le budget public
alloué à l’éducation diminuait[3].
L’opacité
financière qui marque la vie publique nigérienne a des implications
importantes sur les libertés fondamentales également comme en témoignent
la détention pendant 48 jours de la journaliste Samira Sabou accusée
d’avoir diffamé le fils du président nigérien et chef de cabinet adjoint
de la présidence en lien avec l’affaire de détournement au sein du
Ministère de la défense[4] ou bien encore les pressions subies par Moussa Askar à l’origine des révélations dans ce dossier[5].
Ces affaires jettent aussi le discrédit sur les partenaires internationaux du Niger et notamment la France qui soutient fortement l’armée nigérienne dans le cadre de l’opération Barkhane, et au-delà (formations, renseignement, coopération de défense et de sécurité…). Il est évident, au regard de leur forte présence sur le terrain, que la direction générale de la sécurité extérieure ou la direction du renseignement et de la sécurité de la défense étaient au courant de ces détournements, visiblement sans conséquences.
Crépuscule des institutions indépendantes
La corruption et les conflits politiques progressent d’autant plus que les institutions de régulation et de contrôle de la vie publique défaillent. Les Constitutions des années 1990 ont créé des juridictions spécialisées dans le contrôle des scrutins. Des « commissions électorales indépendantes » existent dans presque tous les pays africains. Au Niger, celle-ci a permis d’améliorer le processus électoral et de permettre une élection libre en 1993 lors de laquelle Mahamane Ousmane – qui aujourd’hui conteste les chiffres de la même CENI validée par la Cour Constitutionnelle – avait été élu. Cette commission indépendante est considérée par les acteur de l’opposition comme pour de nombreux observateurs comme inféodée au pouvoir en place. L’opposition nigérienne l’a quitté en 2017 et n’y a repris sa place que fin janvier 2021, à la veille du second tour de l’élection présidentielle. Le manque de consensus autour de cette instance est porteur de tensions autour du processus électoral que les missions d’observation comme celle de l’Union Africaine oublient dans leur diagnostic et rapport.
Si la Haute Autorité de lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HALCIA) a produit un rapport critique au 1er tour, elle n’en a pas fait autant au second et jamais questionné le fonctionnement du financement de la vie politique nigérienne. Le coût des élections, et donc la nécessité de trouver des financements importants pour faire campagne, est un problème majeur qu’engendre tout régime démocratique. Au Niger, l’habitude de la rente électorale, la taille importante du pays et l’absence de financement public conduisent à une dépendance importante aux grands commerçants pour financer la campagne. Ce système opaque et clientélaire instaure les conditions d’un vaste pacte de corruption que le scandale de détournements au sein du ministère de la défense nationale est par exemple venu mettre en lumière[6].
L’espace civique restreint depuis des années
Ainsi, ces dernières années, des dizaines de militants anticorruption, journalistes, enseignants et défenseurs des droits humains ont été arrêtées ou font l’objet de poursuites judiciaires. Plusieurs d’entre eux ont été poursuivis sur la base de conversations privées tenues sur des réseaux sociaux, provoquant l’inquiétude quant à l’ingérence et au contrôle exercé par les autorités sur les individus et aux atteintes à la liberté d’expression. Inquiétude renforcée par l’adoption d’une nouvelle loi en 2029 sur l’interception des communications qui pourrait encore aggraver le contrôle abusif et ce sans les nécessaires garantis judiciaires. Malgré un taux de pénétration d’internet de 6%, parmi les plus faibles au monde, avec cette nouvelle loi et la loi sur la cybercriminalité, le Niger a mis l’enjeu sécuritaire avant la protection de la liberté d’expression ou du respect du droit privé. Le pays rejoint ainsi la liste des pays africains dont le Cameroun, le Tchad, le Congo-B ou la Tanzanie qui utilise la sécurité nationale comme prétexte pour introduire des législations qui limitent les droits fondamentaux.
Cette restriction des libertés numériques s’est encore accrue, le 24 février 2021, avec la coupure d’internet de 10 jours qu’a connu le pays à la suite de la proclamation des résultats du second tour de l’élection présidentielle et la contestation dans la rue des résultats par les partisans du candidat Mahamane Ousmane. Et dans un pays déjà fragile sur le plan économique, la coupure d’internet a conduit à la fermeture des banques et donc à la paralysie des transferts internationaux, suscitant même la critique de la Fédération patronale du Niger[7].
La dégradation de l’espace civique a conduit les rapporteurs spéciaux des Nations Unies à adresser une première communication en juillet 2018, suite à l’arrestation de leaders de la société civile et à des atteintes à la liberté de réunion et de manifestation, suivie d’une seconde adresse en avril 2020 pour des motifs similaires[8]. Enfin, la lutte contre le terrorisme et depuis un an la lutte contre la Covid-19 semble servir de prétexte aux autorités nigériennes pour limiter dangereusement les libertés publiques, notamment en interdisant des manifestations jugées trop critiques[9].
Une communauté internationale atone
Face à cette situation dégradée, pourquoi la communauté internationale – et en particulier la France principal partenaire du pays – reste-elle sourde à ces dérives ? La vision sécuritaire qui prédomine dans la politique sahélienne de la France et de l’Europe est la première explication à ce silence. Ignorer ou minorer les enjeux sociétaux et politiques dans la résolution des conflits qui secouent la région est un choix tout à fait contestable. Car sans une meilleure gouvernance économique et politique, le respect des droits humains, la lutte contre l’impunité, une justice indépendante et le respect de la transparence dans la vie publique, l’espoir d’instaurer un état de droit durable et un Niger pacifié risque fort de n’être qu’un vœu pieux.
Célébré au niveau international pour avoir respecté la constitution et renoncé à un 3e mandat, qualifié de « modèle pour la démocratie » par le Président Macron, M. Issoufou a bénéficié d’un blanc-seing au niveau européen. Surtout, le président a bien compris, à l’instar de son homologue tchadien Idriss Deby, que consentir aux décisions françaises en matière de lutte contre le djihadisme lui offrirait une rente diplomatique dont il retire tous les dividendes sur le plan intérieur. Les partenaires internationaux sont mutiques sur les réalités de son régime, la lutte contre l’insécurité (comprenant lutte contre les groupes armés mais aussi contre les migrations illégales) primant sur toute autre considération politique.
L’arrivée de Mohamed Bazoum au pouvoir, changement dans la continuité, n’augure pas d’un virage vers plus de démocratie au Niger. Menacé suit à l’attaque du quartier présidentiel par des militaires dans la nuit du 30 mars, le nouveau Président risque de mettre l’emphase sur le contrôle des forces armées et le verrouillage des leviers de contestation. Comme à l’arrivée du président Issoufou au pouvoir, la peur d’un coup d’Etat et la poursuite du contre-terrorisme pourraient peser lourd sur les droits humains.
En tant que ministre de l’intérieur, le nouveau président de la
République, a été l’un des plus virulents tant dans les actes que dans
les discours envers les voix dissidentes. Dans une récente interview à
quelques jours du second tour, il promettait de s’attaquer à la société
civile une fois arrivé au pouvoir, en particulier au mouvement Tournons
La Page qu’il considère comme un « dangereux mélange des genres ».
Inquiétant présage pour les militants abonnés à la prison depuis 2017 et
pour la démocratie nigérienne. Mais fort du soutien international –
notamment du Président Macron qui s’est empressé de le féliciter pour sa
victoire lors d’un entretien téléphonique le lendemain de la
proclamation des résultats définitifs par la Cour Constitutionnelle –
Mohamed Bazoum poursuivra sa politique avec la rigueur et la ténacité
que tous, critiques comme soutiens, lui reconnaissent.
Laurent DUARTE