Mme Abdoulaye DIORI Kadidiatou LY Président de La Cour Constitutionnelle du Niger
Madame la Présidente de la Cour constitutionnelle
Nous soussignés, députés nationaux avons l’honneur de solliciter de votre institution qu’elle se prononce par la procédure d’urgence par arrêt sur des questions d’interprétation et d’application de la constitution notamment de l’article 88 relative à l’immunité parlementaire.
En effet, des divergences d’interprétation des alinéas de cet article et plus particulièrement de l’alinéa 4 sont apparues entre la majorité parlementaire et l’opposition.
Ce qui nous amène à vous saisir afin que la Cour se prononce par arrêt sur les contours de cet alinéa 4 de 88 dont la procédure reste floue dans le règlement intérieur et que son application en l’état actuel remet en cause le principe même de l’immunité parlementaire.
I. Exposé des faits
Après délibération du Conseil des Ministre du mardi 26 août dernier, le Premier Ministre, Chef de Gouvernement saisissait d’une requête le Bureau de l’Assemblée Nationale (tout membre) avec comme finalité la mise à la disposition de la justice du député HAMA AMADOU suite à la requête du Procureur de la République.
En effet, cette requête tend à l’application de articles 88 alinéa 4 de la constitution et 53 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui disposent : « Aucun député ne peut, hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation du bureau de l’Assemblée nationale, sauf cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnations définitives ».
Les divergences d’interprétation de cet alinéa 4 sont apparues entre la majorité et l’opposition parlementaires dont le Président de l’Assemblée Nationale estiment qu’un député qui n’est pas poursuivi et donc son immunité n’est pas levée ne peut pas être arrêté.
Mieux la procédure d’autorisation d’arrestation d’un député hors session par le bureau n’est pas précisée par le règlement intérieur de l’Assemblée nation (quorum et majorité requis) contrairement à celle de la levée de l’immunité prévue aux articles 50, 51, 54 et 55.
Toutes ces difficultés et lacunes juridiques ont d’ailleurs amené le Président de l’Assemblée nationale à saisir votre auguste institution par un recours en interprétation et en application de l’article 88 de la constitution le même jour.
Malgré cette saisine qui est d’ailleurs portée à la connaissance de Monsieur le Premier Ministre et aux autres membres du bureau qui avaient sommé le Président de l’Assemblée nationale de convoqué le bureau le mercredi 27 août à partir de 10 heures, ces derniers au lieu d’attendre l’avis interprétatif de l’article 88 de la constitution se sont précipitamment réunis sur convocation du Premier président pour autoriser l’arrestation du Président de l’Assemblée nationale.
II.De la recevabilité de la requête
Considérant qu’aux termes de l’article 126 alinéa de la constitution « La Cour constitutionnelle est compétente pour statuer sur toute question d’interprétation et d’application de la constitution. »
Considérant que l’article 88 dispose : « Les membres de l’Assemblée nationale jouissent de l’immunité parlementaire.
Aucun député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou des votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.
Sauf cas de flagrant délit, aucun député ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière correctionnelle ou criminelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale.
Aucun député ne peut, hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation du bureau de l’Assemblée nationale, sauf cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnations définitives. »
Considérant que l’alinéa 4 ci-dessus fait l’objet d’une interprétation tendancieuse de l’esprit de cet alinéa sur fond d’une mauvaise foi manifeste de la part de la majorité parlementaire qui confond levée de l’immunité parlementaire, autorisation de poursuite et d’arrestation comme prérogative du bureau pendant l’intersession.
Considérant que l’immunité parlementaire est un ensemble de prérogatives protégeant le député contre les poursuites judiciaires afin de lui assurer l’exercice de son mandat en toute indépendance et en toute liberté ;
Considérant que l’immunité parlementaire est une protection d’ordre public ;
Considérant que l’immunité parlementaire sous son aspect inviolabilité garantit le député contre des poursuites pénales abusives ou vexatoires intentées contre lui pour des faits étrangers à l’exercice de son mandat ;
Considérant que l’immunité couvre non seulement le député pendant la période de session de l’Assemblée nationale mais également pendant la période d’intersession ;
Considérant que le principe de l’immunité parlementaire suppose qu’un député ne peut être arrêté que lorsqu’il fait l’objet d’une poursuite judiciaire formelle ;
Considérant qu’à la date d’aujourd’hui, le député Hama Amadou n’est nullement cité dans l’affaire des bébés importés ;
Considérant que la saisine d’un juge d’instruction dans une affaire judiciaire dessaisit le parquet ;
Considérant en l’espèce, que le Doyen du juge d’instruction en charge dudit dossier n’a jamais souhaité entendre le député Hama Amadou en vue de son inculpation et éventuellement de sa détention ;
Considérant la requête du Procureur de la République en date du 16 juillet 2014 qui précise que « Monsieur Hama est susceptible d’être arrêté pour les faits de complicité de supposition d’enfants, de complicité de faux et usage de faux et d’association de malfaiteurs au même titre que les époux des autres femmes inculpées » constitue une immixtion du parquet dans les fonctions de l’instruction et à travers ce dernier ,une immixtion du pouvoir exécutif dans le pouvoir judiciaire en violation des dispositions de l’article 116 alinéa de la constitution qui dispose : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif.
III. En droit
Conformément à l’article 88 de la constitution du 25 novembre 2010 qui dispose : « Les membres de l’Assemblée nationale jouissent de l’immunité parlementaire.
Aucun député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou des votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.
Sauf cas de flagrant délit, aucun député ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière correctionnelle ou criminelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale.
Aucun député ne peut, hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation du bureau de l’Assemblée nationale, sauf cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnations définitives. », Plaise à la Cour constitutionnelle de juger et de dire que le Bureau de l’Assemblée nationale ne peut pas autoriser l’arrestation d’un député qui ne fait l’objet d’aucune poursuite.
L’autorisation d’arrestation d’un député par le bureau prévue à l’alinéa 4 de l’article 88 de la constitution équivaudrait-elle à une autorisation de poursuite et de levée de l’immunité parlementaire ?
En l’état actuel du règlement intérieur de l’Assemblée nationale et de son bureau ( 11 membres), celui –ci peut-il autoriser l’arrestation d’un député sans pour autant que ce dernier ne soit entendu au préalable ( respect du principe du contradictoire) telle que cela est prévu dans le cadre de la procédure normale de levée de l’immunité parlementaire par les articles 51 du règlement intérieur et 12 de la loi n°2011-13 du 20 juillet 2011 portant statut du député ?
Si le bureau peut autoriser conformément à l’alinéa 4 de l’article 88 de la constitution l’arrestation d’un député sans autant que celui-ci ne soit poursuivi et que cette poursuite ne soit autorisée par la plénière, n’y a-t-il pas là une méconnaissance du principe même de l’immunité parlementaire posée à l’alinéa 1 de l’article 88 de la constitution ?
Par ces motifs
Plaise à la Cour de :
– De juger et de dire que l’arrestation d’un député même hors session ne peut être autorisée que dans le cadre d’une poursuite judiciaire régulière ;
– De juger et de dire que l’autorisation d’arrestation du bureau de l’Assemblée Nationale n’est pas synonyme de la levée de l’immunité parlementaire prévue par les articles 51 du règlement intérieur et 12 de la loi portant statut du député ;
– De juger et de dire que le bureau de l’Assemblée nationale ne peut pas en l’état actuel de son règlement intérieur autoriser l’arrestation d’un député sans pour autant respecter le principe du contradictoire à travers l’audition l’intéressé sur les faits qui lui sont reprochés
– De juger et de dire que l’arrestation d’un député conformément à l’alinéa 4 de l’article 88 de la constitution sans que celui-ci ne soit poursuivi et que cette poursuite ne soit autorisée par la plénière de l’Assemblée nationale est une méconnaissance du principe même de l’immunité parlementaire posée à l’alinéa 1 de l’article 88 de la constitution.