Lorsque Vincent Bolloré, l’homme d’affaire breton qui a vendu du rêve à Mahamadou Issoufou, était placé en garde à vue pour soupçons de corruption d’agents publics étrangers dans des affaires de concessions portuaires au Togo et en Guinée, des questions fusent du côté de Niamey quant aux conditions dans lesquelles le groupe Bolloré a réussi à faire main basse sur le tronçon Niamey-Parakou de la boucle ferroviaire. L’affaire avait fait grand bruit dans la capitale nigérienne où l’on se souvient des péripéties politico-judiciaires entre le groupe Africarail de l’ancien Premier ministre français, Michel Rocard, et le gouvernement du Niger, acculé et contraint à la reddition dans le cadre d’un accord à l’amiable. Selon le journal Challenges, Africarail est détenteur des droits sur l’axe Kaya (Burkina Faso)-Niamey (Niger)-Parakou (Bénin), Aného (Togo)-Ouidah (Bénin), ainsi que sur l’axe Blitta (Togo)- Ouagadougou (Burkina Faso). En 2011, un comité de pilotage “ferroviaire et minier”, présidé par Michel Rocard, a été créé à Bercy en vue de recueillir les contributions financières d’autres groupes français parmi lesquels se trouvait le groupe Bolloré. La surprise du groupe Getfarail et Africarail, créé à l’effet de conduire le projet, a été grande de constater, quelques années plus tard, que Mahamadou Issoufou et Boni Yayi, en dépit des règles de droit, ont décidé de créer une multinationale avec le Groupe Bolloré comme partenaire stratégique.Se sentant lésé, le groupe Africarail a entrepris, en novembre 2015, une procédure judiciaire devant la Cour internationale d’arbitrage de Paris, mais Niamey a vite fait de proposer un règlement à l’amiable. Dans une déclaration commune signée le 30 mai 2016 et sanctionnant deux jours de discussions (24 et 25 mai 2016), le Niger reconnaît les droits d’Africarail sur la construction et l’exploitation des ouvrages d’arts et des infrastructures ferroviaires comme convenu dans les accords de 1999 et de 2000. La déclaration commune a été signée par Ibro Zabaye, directeur du contentieux de l’Etat, et Mohamed Moussa, secrétaire permanent de la cellule d’appui au partenariat public-privé du cabinet du Premier ministre au nom du Niger à l’époque des faits. Leurs vis-à vis français étaient Michel Bosio, président de Getfarail et Michel Rocard, ancien Premier ministre de France. Dans le point 3 de ladite déclaration commune, « L’Etat du Niger réaffirme que Africarail est toujours concessionnaire du droit de construire et d’exploiter les ouvrages d’art et les infrastructures ferroviaires sur l’axe Kaya (Burkina Faso)-Niamey (Niger)- Parakou (Bénin), Aného (Togo)-Ouidah (Bénin), ainsi que sur l’axe Blitta (Togo)-Ouagadougou (Burkina Faso) constituant la grande boucle ferroviaire de l’Afrique de l’Ouest, conformément au Protocole du 15 janvier 1999 et au Protocole additionnel du 31 août 2000 ».
L’annonce de la déclaration commune avait fait l’effet d’une bombe. Le groupe Bolloré, qui a dû prendre très mal cette déclaration commune a contraint Niamey à une volte-face des plus inattendues. Un communiqué imputé au gouvernement nigérien, mais nullement signé par une autorité quelconque, avait apporté un démenti cinglant à ce qu’a été dit pourtant, clairement, dans la déclaration commune. Dans ce communiqué insolite, il était indiqué que cela fait suite aux publications et déclarations médiatiques du Groupement Geftarail et Africarail S.A. sur le projet de boucle ferroviaire ainsi qu’à l’assignation de l’Etat du Niger devant le tribunal arbitral de Paris par le même groupement. Mieux, le fameux communiqué précisait que « Le but de ces négociations [Ndlr : entre l’Etat du Niger et Getfarail] était de trouver un accord amiable pour mettre fin au protocole signé le 15 janvier 1999 par lequel quatre Etats avaient confié au groupement Geftarail la mission de mobiliser des ressources, de réaliser des études et de construire et exploiter certains tronçons de la grande boucle ferroviaire ». Le communiqué va plus loin, soulignant qu’au cours de cette négociation, « la délégation nigérienne a soutenu que la concession Bolloré est la seule valide, car signée en bonne et due forme alors que le B.O.T ( built, operate and transfert) envisagé avec Geftarail n’est pas encore signé et que la délégation nigérienne a demandé une juste indemnisation des Etats par Geftarail pour le préjudice causé aux économies des Etats signataires du protocole ». Le communiqué est-il authentique ? Peut-il provenir de ces mêmes personnes qui ont reconnu dans la déclaration commune qu’Africarail est l’unique détenteur de droits sur l’axe de l’OCBN ? En tout état de cause, son contenu, aux antipodes de celui de la déclaration commune, ne semble pas sérieux pour être de l’Etat du Niger.
Le 10 août 2016, les engagements contractés par le Niger dans le cadre de cette déclaration commune arrivent à échéance. Or, le point 10 stipule que « la présente déclaration deviendra caduque si elle n’entre pas en vigueur et/ou si les parties ne s’y conforment pas avant l’expiration de la suspension de la procédure d’arbitrage le 10 août 2016 ». Alors qu’il a pollué l’atmosphère avec un communiqué non signé mais qui sème le doute puisque publié dans le journal gouvernemental, le gouvernement nigérien dépêche discrètement une mission à Paris en vue de négocier un sursis avec Africarail en obtenant un prolongement du gel de la procédure judiciaire qui a été mise au frigo. Conduite, à l’époque, par le ministre des Finances et composée, entre autres, de Gandou Zakara, secrétaire général du gouvernement, Ibro Zabèye, directeur du contentieux de l’Etat, et Mohamed Moussa, secrétaire permanent de la cellule d’appui au partenariat public-privé du cabinet du Premier ministre, la mission a été un cuisant échec, le groupe Africarail n’ayant pas trouvé sérieux le gouvernement nigérien avec ce communiqué contestant les termes d’un accord qu’il a pourtant signé sans contrainte. La question ultime était de connaître les motivations qui avaient poussé Niamey à déclarer la concession Bolloré, la seule valide après avoir signé une déclaration commune dans laquelle elle s’est pliée aux quatre volontés du groupe Africarail. Comme Vincent Bolloré a-t-il réussi à supplanter le groupe Africarail au Niger, malgré les accords de 1999 et de 2000 qui lient Africarail au Niger ? Y avait-il eu, là aussi, des soupçons de corruption d’agents publics comme au Togo et en Guinée ?
Laboukoye