Politique

Ce qui fait courir Issoufou en Europe

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Après sa rencontre à Paris avec François Hollande, le président nigérien Mahamadou Issoufou s’est entretenu avec la chancelière Angela Merkel à Berlin.

Ces derniers jours, on a vu le Président Issoufou multiplier les rencontres en France et en Allemagne. Sa première visite mardi 14 juin «était prévue depuis plusieurs semaines, mais elle a pris une signification particulière», note-t-on, dans l’entourage de François Hollande. Elle a eu lieu au lendemain de l’assassinat d’un couple de policiers dans les Yvelines revendiqué par Daech et onze jours après l’attaque de Bosso, l’une des plus meurtrières perpétrées par Boko Haram au Niger.

Cela a donné l’occasion au président français d’exprimer son soutien aux forces de sécurité qui combattent le terrorisme en France comme en Afrique. L’occasion aussi, pour son homologue nigérien de lancer un appel à « renforcer la solidarité contre la menace terroriste »

Jeudi 16 juin, accompagné de son ministre de la Défense Hassoumi Massaoudou, le président Issoufou rencontre Jean-Yves Le Drian à l’Hôtel de Brienne. La discussion porte cette fois sur les moyens concrets pour renforcer la coopération militaire entre la France et le Niger.

Base militaire Niamey
Dans le cadre de l’opération Barkhane, près de 300 militaires français sont postés sur la base aérienne 101 sur le site de l’aéroport international de Niamey. D’autres soldats sur les bases avancées temporaires de Madama et Aguelal dans le Nord du pays.

La force Barkhane est disposée de manière à faire face à un danger localisé au Nord du pays aux frontières libyennes et maliennes. L’idée est évoquée d’ouvrir un nouveau point d’appui pour des troupes françaises à Diffa ou à Bosso dans le Sud où sévit Boko Haram. Les dirigeants nigériens rappellent qu’ils avaient apprécié la présence des forces spéciales françaises il y a quelques mois dans cette contrée du Sahel.

Outre l’aspect opérationnel, il est question du renforcement de la formation militaire. De nouveaux programmes devraient être mis sur pieds notamment pour aider le Niger à se doter rapidement d’unités d’élite capables de se déployer très vite en cas de nouvelle attaque. Sans omettre plus de forces médicales et de véhicules blindés.
Face à Boko Haram, l’armée nigérienne manque de moyens

Longuement discutée lors du forum de Dakar en septembre 2015, la guerre contre Boko Haram au sud du Niger prend une nouvelle tournure. L’objectif consiste maintenant à aider le pays à tenir sa frontière afin d’empêcher le groupe terroriste de pénétrer plus avant sur son territoire. « Une progression vers le nord ouvrirait une autoroute vers la Libye », craint-on au ministère de la Défense. Un scénario du pire qui n’est pas à écarter.

Tout cela complique les affaires de Mahamadou Issoufou, au pouvoir depuis avril 2011 et réélu au mois de mars. Pendant la dernière campagne électorale au Niger, des soupçons de tentatives de coup d’Etat avaient conduit à l’arrestation, en décembre 2015, d’officiers des forces armées nigériennes (FAN), dont le général Salou Souleymane.

Toujours incarcéré aujourd’hui, les militaires attendent encore leur procès. Selon l’activiste Pedro Diallo Abdoulaye, ils auraient été radiés (ci-dessous) avant même d’avoir été jugés. A cela s’ajoute, le principal problème des FAN: le manque de moyens. L’une des critiques récurrentes de l’opposition vise la gestion du budget de l’armée. Le financement par exemple du nouvel avion présidentiel sur le budget de l’armée en 2014 fait encore grincer des dents.

A cela s’ajoute des rumeurs de malversations impliquant le camp présidentiel. Selon le député de l’opposition Nassirou Halidou (Lumana FA), les montants « colossaux » votés chaque année par le Parlement pour l’armée nigérienne ne parviennent pas toujours à destination.

La confusion qui régnait à Bosso après l’attaque du 3 juin illustre ces tensions entre l’armée et le pouvoir exécutif. Hassoumi Massaoudou, le ministre de la Défense récemment nommé, se rend dans la ville de Diffa avec l’intention d’aller plus à l’Est à Bosso montrer que la situation est sous contrôle. Selon plusieurs témoignages concordants, l’armée aurait refusé d’escorter son ministre. Hassoumi Massadou est contraint de rebrousser chemin.

El Hadj Boko Mamadou, le maire de Bosso déclare alors à l’agence Reuters que sa ville n’est plus sous contrôle. Le soir-même, après un conseil des ministres, le gouvernement affirme que «contrairement à une rumeur savamment distillée par des gens qui semblent être des alliés objectifs de Boko Haram, la ville de Bosso est totalement sous contrôle».

La réalité est plus complexe. La ville de Bosso n’est alors pas « occupée pas Boko Haram », mais la région semble désertée par les forces de sécurité. Un constat partagé par des travailleurs humanitaires que nous avons contactés. Louise Donovan du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations unies nous raconte qu’un incident autour d’un stock de nourriture dans le camp de Kabelawa au Nord de Bosso n’aurait pas été maitrisé faute de forces de sécurité. Un mouvement de panique y aurait causé le départ de 50% de la population du camp. « Nos équipes peinent à trouver des militaires pour les escorter », regrettait Louise Donovan jointe au téléphone la semaine dernière.

Difficile dans ce contexte pour le Président Issoufou de mobiliser son armée nationale. Après l’attaque du 3 juin, il se rend au Tchad, où il obtient un renfort militaire du président Deby. Il est question de l’envoi de troupes, mais finalement elles ne mettront pas les pieds à Bosso. Issoufou va à Paris où il salue «l’excellence des relations entre la France et le Niger».

Il demande la création d’unités spéciales et le renforcement de sa garde présidentielle. Il attend aussi une aide financière de son ami socialiste. Elle sera très symbolique. Selon nos informations, le président Issoufou aurait obtenu 8% du montant escompté. En Allemagne aussi, il réclame un appui financier cette fois au nom de la lutte contre l’immigration illégale. Mais la chancelière en sortant de leur rencontre insiste sur l’aide aux réfugiés… en Libye, une façon de justifier une fin de non recevoir.

Tandis qu’il cherche des moyens en Europe, un autre scandale revient sur le devant de la scène. Une affaire de passe-droits autour d’un concours de recrutement de la fonction publique. Deux journalistes du « Courrier », Ali Soumana et Moussa Dodo, publient, début juin, les noms de personnalités publiques qui ont utilisé ces passe-droits pour que des proches soient admis directement, sans passer de concours.

Ali Soumana et Moussa Dodo sont interpelés et incarcérés. La moindre critique est perçue comme une tentative de déstabilisation. Ils sont finalement condamnés à trois mois de prison avec sursis le 17 juin.
Une dérive autoritaire qui inquiète l’association Amnesty international

« Ces documents étaient pourtant publics depuis le procès pour fraude des cadres du ministère de la Fonction publique impliqués dans ce scandale », dénonce aussitôt l’association Reporter sans frontières qui rappelle qui sont les personnes accusées dans cette affaire: « La première dame, la présidente de la Cour constitutionnelle, le chef d’Etat-major des armées et le ministre du Pétrole. »

Le 14 juin, Ousman Abdoul, président du CADDRH (Cadre d’action pour la démocratie et les droits de l’Homme), est placé en garde à vue. Il est accusé d’avoir fomenté un complot en vue d’un changement de régime après une publication sur sa page Facebook. Au tour d’Amnesty international de publier un communiqué exhortant les autorités nigériennes à « abandonner les charges ».

L’organisation s’inquiète par ailleurs de « la vague d’arrestations arbitraires d’opposants ou de personnalités de la société civile ayant cours depuis les élections de mars dernier au Niger ». Une manière de pointer les dérives autoritaires du régime Issoufou qui, face à la menace terroriste, semble soucieux de protéger son peuple, mais aussi de se protéger lui-même.

Dans ce contexte, le retour annoncé de l’opposant Hama Amadou soigné à l’hôpital américain de Neuilly complique encore la donne. On se souvient du retour de Hama Amadou à Niamey le 14 novembre 2015. La crainte d’un coup d’Etat avait conduit les autorités à boucler la route de l’aéroport, en interdire l’accès et même confisquer les caméras des journalistes de Labari TV. Aussitôt incarcéré, l’ancien Premier ministre de Mahamadou Tanja avait passé plusieurs semaines en prison, avant d’être évacué en France où il se trouve encore aujourd’hui.  

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