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- Les techniques conventionnelles de lutte contre les insectes nuisibles ont montré leurs limites
- D’où l’introduction de la technologie nucléaire, qui donne des résultats très encourageants au Sénégal
- Toutefois, elle présente des défis majeurs, notamment d’ordre financier et technique
Par: Ata Ahli Ahebla
Au terme d’un projet intégrant des technologies nucléaires et visant à
éliminer les insectes nuisibles, le Sénégal est quasiment exempt de
mouches tsé-tsé, connues pour décimer le bétail.
Selon la FAO, sur les 37 pays infestés par la mouche tsé-tsé, 32 sont parmi les plus pauvres du monde.
Cet insecte tue chaque année plus de 3 millions de têtes de bétail en Afrique sub-saharienne, avec à la clé plus de 4 milliards de dollars – environ 2500 milliards de Francs CFA – de pertes.
Les insectes nuisibles sont à l’origine de certaines maladies aussi bien chez les hommes que chez les animaux et sont sources de problèmes sanitaires, économiques ou environnementaux.
“Le principal objectif du Sénégal en adoptant la TIS est l’amélioration de la production. C’est pourquoi le pays compte éliminer définitivement les derniers insectes d’ici à l’année prochaine.”
Baba Sall – Entomologiste et responsable de projet au ministère sénégalais de l’élevage et de la production animale
Qu’il s’agisse des mouches tsé-tsé, des mouches des fruits, des
criquets, ou encore des moustiques, les combattre représente un
véritable défi pour les institutions, certaines méthodes
conventionnelles utilisées pouvant s’avérer inefficaces ou limitées.
Cette situation est source d’inquiétudes dans plusieurs pays,
notamment africains. Certains ont opté pour la technique des insectes
stériles (TIS).
L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Agence Internationale de l’Énergie atomique (AIEA) aident
les États membres à élaborer et à adopter des technologies basées sur
le nucléaire, dans le but d’optimiser les pratiques de gestion des
insectes ravageurs en agriculture.
Encore appelée « lutte autocide », la TIS consiste à élever en masse les
insectes mâles, qui sont ensuite stérilisés par rayonnements ionisants.
Technique
Les insectes sont lâchés au-dessus d’une zone géographique définie où sévit l’espèce.
« C’est une méthode de lutte biologique différente des méthodes
conventionnelles qui peuvent tuer d’autres insectes non ciblés »,
explique Baba Sall, de la direction des Services vétérinaires du
Sénégal.
Dans le cadre de la TIS, ce sont des mâles qui sont stérilisés. Ceux-ci
vont occuper le terrain et compétir auprès des femelles avec des mâles
sauvages.
« Puisqu’ils sont stériles, ils vont s’accoupler avec les femelles, mais
il n’y aura pas de descendance, étant donné qu’ils ne peuvent pas se
reproduire », ajoute Baba Sall.
Le processus a pour conséquence, la diminution de la population, voire la disparition totale des insectes.
Baba Sall précise que si on maintient une cadence correcte d’un ratio
minimum d’un mâle sauvage pour un mâle stérile à une échéance donnée, on
finira par éradiquer la population sans toucher les autres espèces qui
ne sont pas ciblées.
La technique des insectes stériles a été élaborée dans les années 50 par
eux entomologistes américains, Raymond Bushland et Edward Knipling.
Elle a été adoptée dans plusieurs pays, notamment africains comme la Tanzanie, l’Éthiopie et le Sénégal.
Bien que le projet ait été lancé en 2005 dans le cadre de la lutte
contre les mouches tsé-tsé et de la trypanosomiase, ce n’est qu’en 2012
que la phase opérationnelle a débuté.
Au Sénégal, la TIS est utilisée dans trois régions, notamment la
Casamance, la région frontalière avec le Mali et la région de Niayes,
dans l’Ouest.
Si cette dernière est géographiquement la plus petite dans laquelle le
projet est exécuté, elle se révèle très importante pour les autorités du
pays.
Baba Sall affirme que « le gouvernement sénégalais mise sur cette région
à cause de sa forte potentialité pour la production animale et
laitière. Le pays a décidé de renforcer la production laitière, avec
l’implantation de plusieurs fermes dans cette zone, des fermes qui
exploitent des races exotiques et métissées, plus productives que les
races locales. »
Sharon Shannon, responsable de la mission américaine auprès de l’Agence
Internationale de l’énergie atomique à Vienne en
Autriche, se réjouit pour sa part des résultats obtenus dans cette
région du Sénégal.
« Lors de notre dernière visite, les populations nous ont confié leur
joie parce qu’elles ont vu que la situation s’est améliorée, ce qui leur
a permis dans le même temps d’améliorer la production en viande et en
lait. »
« Le principal objectif du Sénégal en adoptant la TIS est l’amélioration
de la production, c’est pourquoi le pays compte éliminer définitivement
les derniers insectes d’ici à l’année prochaine », promet Baba Sall,
avant d’ajouter : « Il y a quelques dernières poches de résistance, mais
ce n’est pas avec des insecticides que nous allons chercher les
dernières mouches. »
Les mouches à lâcher qui sont utilisées au Sénégal sont essentiellement produites et importées du Burkina Faso.
Selon Baba Sall, pour produire ces mouches, il faut une colonie de
femelles qui se reproduisent régulièrement et le Burkina Faso a une
longue tradition d’élevage de mouches.
D’autres pays comme la Slovaquie, l’Autriche sont connus pour leurs activités dans ce secteur.
Extinction
Pour Baba Sall, certaines techniques conventionnelles de lutte contre les insectes ont montré leurs limites.
« On peut réduire les populations sauvages d’insectes, mais dès qu’on arrête, ça recommence. »
Selon lui, l’autocide des insectes présente beaucoup d’avantages et il a permis
99,99 % de réduction de la population des espèces sauvages et bientôt « nous irons à l’extinction. »
Le responsable du laboratoire de lutte contre les insectes ravageurs et
conseiller des programmes de technique d’insectes stériles à l’Agence
Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), Marc Vreysen,
estime de son côté qu’on ne peut véritablement pas dire qu’une technique
est meilleure comparativement à une autre. « Il faut intégrer plusieurs
techniques pour obtenir le meilleur résultat. Mais il faut reconnaître
que la TIS est efficace sur une petite échelle », précise-t-il.
« Cette technique permet également de montrer que les technologies
nucléaires peuvent être développées à des fins utiles, à des fins de
développement, humanitaires et de santé, parce qu’on les utilise dans
beaucoup de domaines », fait observer Baba Sall.
Selon Marc Vreysen, même si la TIS est basée sur la technologie
nucléaire, les gens ne doivent pas avoir peur, parce que les insectes ne
sont pas radioactifs.
De plus, « les insectes ne peuvent pas se reproduire. Ils sont donc sans danger. »
Limites
Des scientifiques, comme Heather Ferguson de l’Institut de biodiversité, santé animale et médecine comparative à l’université de Glasgow, en Ecosse, font toutefois état d’un manque de données en matière de biologie du comportement sexuel des insectes, à l’instar des moustiques, ajoutant que seules de meilleures connaissances dans ce domaine permettraient de rendre efficaces les techniques de modification génétique.
Un autre handicap est que la technologie coûte cher, donc « les insectes qu’il faut cibler doivent être des insectes majeurs. La mouche des fruits, par exemple, cause des dommages estimés à des milliards de dollars aux fermiers », souligne Marc Vreysen.
« Vous devez aussi pouvoir produire les insectes à une grande échelle et à un coût raisonnable. Malheureusement, il y a certains insectes que vous ne pourrez même pas produire en quantité importante. »
« Pour des insectes dont la phase adulte et celle jeune causent des dégâts, cette technologie n’est pas appropriée », prévient Marc Vreysen. SCIDEVhttps://www.scidev.net/afrique-sub-saharienne/nucleaire/article-de-fond/nucleaire-insectes-17052019.html