Politique

Lettre ouverte au président de la République : L’injustice est mère de toutes les dérives

Monsieur le Président,

Vous comprendrez sans doute les raisons pour lesquelles je ne puis suivre à la lettre ce que j’annonçais. La vie politique nigérienne est si trépidante depuis que, si l’on se fie aux journaux oiseaux de mauvais augure, vous avez décidé de vous donner pour programme prioritaire, l’éviction de Hama Amadou du perchoir de l’Assemblée nationale.

 

Et chaque fois que je programme d’aborder tel ou tel sujet dans cette lettre que je n’arrêterai que lorsque la chienlit politique cessera, il se trouve que votre gouvernement, qui a décidément des réactions de pyromane, trouve le moyen de compliquer la situation en soufflant sur des braises refroidies.

 

C’est pour cette raison que je vous interpelle cette semaine sur les intentions de votre gouvernement, clairement exposées par le ministre-porte-parole du gouvernement lors de son point de presse de la semaine dernière. Je commencerai par cette question de l’assainissement sur laquelle pendant trois ans, vous n’avez eu de cesse de faire et de renouveler des promesses jamais tenues.

Question sur laquelle le ministre Marou, non gêné de paraître à la télé sur un sujet par rapport auquel votre gouvernement n’a aucun crédit, s’est permis de faire du zèle.

 

Il n’a pas fait que du zèle, il a enfoncé davantage votre gouvernement qui ne peut, les Nigériens le savent, mener cette opération qui exige à la fois hauteur, impartialité et équité ; toutes choses dont vous n’avez pas su faires les preuves. Et c’est pourquoi, soucieux de la stabilité politique et institutionnelle de notre cher Niger, j’ai tenu à vous dire humblement que l’injustice est mère de toutes les dérives.

 

J’emprunte volontiers au porte-parole ces mots pleins de sagesse qu’il a eu lors de son point de presse, la seule idée lumineuse en vérité. « Ne prenez

pas plaisir à tirer la paille car en tirant la paille, le serpent n’est jamais loin et on ne sait jamais qui va en être la victime ».

 

Je l’emprunte parce que je la trouve merveilleuse dans le contexte actuel. En pays zarma, et Marou le sait puisqu’il est du Boboye, il y a un autre proverbe qui dit que lorsque la main n’arrête pas d’aller sur le postérieur, forcément elle ramènera ce qu’on ne veut pas sentir. C’est juste pour vous dire que l’assainissement vous obligera à vous débarrasser d’un très grand nombre de vos collaborateurs. Rendez-vous compte, Marou a osé dire qu’il a instruit le parquet pour enrôler des affaires qu’il est allé chercher dans les poubelles de l’histoire. En 1995, dit-il. Pendant qu’on y est, pourquoi pas en 1993 et 1994 puisque c’est si proche ?

 

C’était juste pour rigoler, même si je sais que Marou ne faisait que porter la voix de ce gouvernement qui est sous votre autorité.

Ouvrez l’oeil, monsieur le Président. Tout autour de vous, il y a plein

d’hommes à casseroles que la justice ne demande qu’à auditionner.

 

Pour vous rafraîchir la mémoire, certainement défraîchie par tant de défis difficiles pour vous, sachez que l’affaire du riz pakistanais n’a jamais été jugée ; que cette sale affaire, récemment évoquée par Bazoum Mohamed, et qui porte sur le paiement d’un milliard 800 millions au profit de Zakou Djibo, la semaine même ou vous prêtiez serment, est restée sans suite ; que cette autre sale affaire de vivres de l’OPVN, détournés par un homme d’affaires véreux qui, pour toute prison, a été « hospitalisé » au pavillon A avant d’être mis en liberté, n’a jamais connu l’épilogue que les Nigériens en attendaient ; que le sieur Albadé Abouba, que vous avez auréolé d’un poste de ministre d’État, a vu son immunité parlementaire levée sans jamais répondre de ce qu’on lui reproche ; qu’il y a à peine un mois, votre camarade de parti et ministre du Pétrole qui était en perpétuelle panne d’essence trois ans en arrière, a osé offrir aux structures régionales du Pnds sept 4X4 flambant neufs ; etc.

 

Je vous fais grâce de toutes ces sales nouvelles affaires. Bref, avec un sérieux feint, il a prétendu, sans un sourire, que vous attachez beaucoup d’importance à l’assainissement. Or, les affaires, il y en a plein dans votre camp politique. Nous attendons de voir si vous serez capables de vous départir du parti pris dans le traitement de cette délicate question.

Des bourdes, votre Marou en a commises. Un exemple : il a dit, et c’est vrai malheureusement, que le parquet jouit du droit d’apprécier l’opportunité de la poursuite.

 

En termes clairs, c’est à vous de décider qui doit faire face à la justice et bien entendu, vos amis et alliés pourront être épargnés par cette opération. Ces propos donnent tout leur sens au recrutement de Zakou Djibo qui s’engage désormais à mettre sa science service de votre régime. Ce Marou, il est quand-même marrant puisqu’il se prend au sérieux même dans les cas où son argumentation n’est pas exacte.

 

Ainsi dit-il qu’à moins d’actes illégaux et anticonstitutionnels, il est impossible d’écourter votre mandat, ce qui est totalement faux puisque la constitution prévoit bel et bien la possibilité de mise en accusation du président de la République pour haute trahison. Je vous prie d’attirer son attention sur les articles 142 et 144 de la constitution.

 

Revenons à notre sujet du jour, l’assainissement, pour vous informer que si vous avez le droit de juger de l’opportunité de poursuivre qui vous voulez, vous devez savoir également qu’en abuser serait un parti pris contraire à votre serment et à toutes les lois du Niger. Ne vous fiez pas à la puissance de l’argent.

Elle a ses limites. Je n’arrive pas à admettre que ce qui se raconte soit vrai, car, pour moi, un pays a des paravents solides qui ne tombent jamais, même lorsque tout s’écroule. Ces paravents, ce sont le président de la République et les représentants de l’Etat.

 

Personne, pas même vos militants, encore moins ceux de la 25e heure, ne croient à votre discours sur l’assainissement. Arrêtez d’en parler et ce serait mieux pour tout le monde. Revenons à nouveau à votre porte-parole. Il a affirmé que le Niger traverse un cap difficile alors que le discours officiel, le politiquement correct, prétend que nous sommes dans le meilleur des mondes possibles.

 

Qui croire ? Autre chose, il a dit à ses compatriotes, à propos des 400 milliards, que l’ancien président Mamadou Tandja dit avoir laissés dans les comptes de l’État, qu’une enquête judiciaire est ouverte et qu’elle concernera une quarantaine de personnes.

 

Et moi qui ai toujours cru que c’est l’évolution de l’instruction judiciaire qui détermine le nombre de personnes à entendre ; que ce nombre ne peut être arrêté à l’avance et qu’il est surtout impossible, à moins qu’il s’agisse de poudre aux yeux, de déterminer le temps que doit prendre une instruction judiciaire. Or, Marou, le chef du parquet, a promis les premiers résultats en novembre, lors des assises.

 

À moins, précise-t-il, qu’ils ne décident de convoquer des assises extraordinaires. Tenez, j’allais oublier. Il a profité de votre absence pour dire que — j’ai pensé à une prétention démesurée — qu’ils n’accepteront pas que des gens s’attaquent ouvertement au président de la République et que c’est afin de montrer cette détermination qu’il a décidé de faire poursuivre cinq cas bien choisis…pardon, bien précis.

 

C’était pourtant le même Marou qui traitait les ministres de la République

d’inconscients en 2009. Je vais devoir finir cette lettre, car j’ai sommeil et les maux dont souffre le Niger sous votre magistère à la fois innombrables etcomplexes.

 

Je vais vous quitter pour cette semaine en disant que je reste personnellement convaincu que la lumière ne sera jamais faite sur l’affaire dite des 400 milliards. Ma raison principale ?

 

Elle réside dans la certitude que le Général Salou Djibo ne sera jamais auditionné sur cette affaire. Raison pour raison, je vous rappelle que le Général Salou n’est pas n’importe qui.

 

Je reviendrai, incha Allah, la semaine prochaine, avec cet extraordinaire revirement dont vous avez été capables, vous et votre parti. C’est dommage que vous ne parveniez toujours pas à distinguer l’essentiel du détail.

Malami Boucar

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