Le gavage, ‘’Hangandi’’ en Zarma et ‘’shan Kiba’’ en haoussa est une pratique qui existait depuis fort longtemps dans la tradition nigérienne. En effet dans le temps, les femmes s’adonnaient beaucoup à cette pratique qui était plus ou moins une sorte de compétition entre elles. A cette époque, les rondeurs étant définies comme premier critère de la beauté féminine mais aussi du prestige de la famille. Aussi, les femmes pour ne pas être la risée parmi leurs pairs, se gavaient de bouillies faites à base de farine de mil ou de maïs. C’était surtout le mil qui était la principale céréale utilisée pour le gavage dont même le son était utilisé par les femmes. Mais comme toutes les pratiques sociales, le gavage ne résista pas à l’influence des temps modernes.
Contrairement à ce qui se fait de nos jours dans les centres urbains, le gavage traditionnel se faisait exclusivement à base de produits naturels. Cependant, il arrivait que les femmes associent à ces bouillies, une décoction d’écorces ou de plantes locales comme la poudre de ‘’tontorba’’, très réputée pour booster l’appétit. Le gavage se faisait surtout après l’accouchement ou pour préparer l’arrivée du mari parti en exode ou dans le cadre des compétitions qu’organisaient les femmes dans les villages ou dans les quartiers. Toutefois, la manière de faire le gavage à cette époque variait d’une culture à une autre.
Hadjia Bouli Garba, une sexagénaire résidant au quartier Boukoki 2 (Zarma d’origine) parle avec enthousiasme et une grande nostalgie de cette pratique. «Autrefois, toute femme qui n’avait pas de rondeurs était plus ou moins dénigrée ou recevait des ‘’indirectes ‘’ de la part des autres femmes», explique-t-elle. Autrement, c’était la grande compétition entre les femmes. Les modèles comme ‘’Katoucha’’ ou les ‘’Céline Dion’’ n’avaient pas leur place lors des rencontres entre femmes. En effet, honorée était la femme qui avait une forte corpulence car cela témoignait du bon entretien de cette dernière par son mari. Cela était un signe de richesse.
La doyenne Hadjia Bouli explique que la femme devait forcément, après l’accouchement, faire le gavage. «Cela lui était imposée par sa famille car il était hors de question qu’elle retourne dans son foyer après la quarantaine sans un grand changement de son physique», précise-t-elle. Et pour se faire, la jeune maman doit chaque jour ingurgiter une grande calebasse remplie soit d’une bouillie onctueuse, de boule ou de son de mil. Cependant a relevé la mamie, avant de boire la bouillie, il fallait faire ‘’un certain rituel’’ à la femme comme celui du massage du corps avec du beurre de karité, un bain de vapeur et une toilette à l’eau chaude.
Ensuite, on étale une natte sur laquelle, la nouvelle maman s’allongeait afin de se faire masser les côtes et le dos pour que ces derniers se relâchent et puissent permettre un élargissement du ventre. Après quoi suivra un bain de vapeur puis une toilette à l’eau chaude. Une fois la toilette finie, il était servi à la femme allaitante, une grande calebasse de bouillie et une autre de son de mil dilué. «Du matin au soir, c’est ce qu’elle devait boire jusqu’à la fin de la quarantaine. Elle ne devait ni manger de la viande, ni des œufs», précise Hadjia Bouli.
Et durant cette période, la femme n’avait pas le droit de laisser son mari voir son corps encore moins le gratifier d’un sourire. «Elle était vêtue d’une robe assez large qu’elle se devait de remplir avant la fin de sa quarantaine et d’un grand-voile qui la couvrait complétement. Ce n’était qu’une fois la quarantaine finie qu’on invitait les gens à venir voir la nouvelle maman qu’on qualifiait de ‘’wayhidji ou amaria’’», explique la doyenne. C’était une grande fierté pour le mari qui recevait des compliments de la part des uns et des autres pour avoir bien pris soin de sa femme.
Hadjia Bouli a aussi fait cas du gavage de la femme qui attendait le retour de son mari parti en exode ou en voyage. «Cette dernière également s’adonnait corps et âme au gavage afin de surprendre son mari à son retour», explique-t-elle. Et tout comme la femme qui vient d’accoucher, elle aussi se gavait de bouillie ou de son de mil.
Cependant, contrairement au gavage dans les deux cas suscités, le gavage pour la compétition entre femmes était tout autre.
D’après Hadjia Kanda, une autre ancienne vivant au quartier Boukoki, le gavage de compétition, se faisait après la période des récoltes surtout si elles ont été très bonnes. Ainsi, les femmes organisaient une grande rencontre où elles égorgeaient des poulets qui étaient par la suite partagés à toutes les femmes réunies et qui se devaient de les garder jusqu’à la prochaine rencontre. Chaque partie du poulet avait sa signification. Les parties avec peu de chair étaient considérées comme une réprimande. La femme qui recevait cette partie devait maximiser dans son gavage jusqu’à ce qu’elle ait droit à un gros morceau de poulet.
Par ailleurs Hadjia Kanda ajoute aussi que lorsque la mère trouvait sa fille très mince, elle pouvait également la soumettre au gavage en lui donnant beaucoup de bouillie. «Lorsque cette dernière n’arrivait pas à boire la quantité de bouillie qui lui a été servie, on lui tirait la peau du ventre afin de l’élargir» a expliqué Hadjia Kanda. «Ça fait mal mais ça va beaucoup l’aider» a-t-elle dit.
Bien que connu dans beaucoup de communautés au Niger, le gavage se pratiquait de manière différente selon les zones. Hadjia Ayya, originaire de Filingué, explique la procédure observée dans le Kourfeye. «Contrairement aux autres qui prenaient beaucoup plus de bouillie, à notre époque, on commence d’abord à prendre du ‘’Sabulin solo’’ le matin avant de manger quoi que ce soit. Après cela, on mangeait une grande quantité de ‘’Zazafé’’ ou Doungandi (la pâte de maïs réchauffée le matin accompagnée de sauce feuilles) et on l’accompagne de la boule communément appelée ‘’foura’’ ou ‘’doonou’’», explique-t-elle. Et selon Hadjia Ayya, même la position à adopter pour boire de l’eau compte. «Il est donc conseillé à la femme de s’asseoir sur un tabouret traditionnel et de bien se cambrer en buvant de l’eau afin de permettre à la nourriture ingurgitée de bien descendre dans l’estomac. Car la mauvaise position en mangeant donne un gros ventre à la femme», croit-elle.
Dans l’Ader, le gavage se pratique de manière aussi surprenante. A Tahoua, les femmes se gavaient en ingurgitant une grande quantité de son en se servant souvent d’un tuyau pour aspirer le son dilué dans l’eau. Souvent, elles s’adonnaient à une sorte de rituel en se mettant autour de la bassine pour boire la bouillie de son en plongeant la tête dans la bassine comme des chèvres. Mieux, il y a, au cours de l’année, un mois qui était spécialement consacré au gavage. La compétition est organisée par une association de femmes dont la présidente se rendait chez chacune des membres pour distribuer des tickets et de la poudre de ‘’tontorba’’.
Chaque deux jours, la présidente fait le tour pour constater l’évolution des différentes candidates. Dans le cas où elle ne remarquait pas un changement, elle sanctionnait et amendait la concernée.
A la fin de la période consacrée au gavage, une fête est organisée au cours de laquelle les femmes se retrouvent afin de voir qui a pris plus du poids. Les candidates qui n’ont pas pris du poids se voient lancer des pics de la part des autres femmes.
Mais comme toutes les pratiques sociales, le gavage ne résiste pas à l’influence des temps modernes. Si par le passé, le gavage se faisait à base de produits naturels, de nos jours, les femmes utilisent des produits chimiques qui boostent l’appétit, mais qui peuvent aussi se révéler toxiques pour l’organisme et provoquer de réels problèmes de santé. ‘’Lafoussi’’et même souvent des produits vétérinaires bourrés de vitamines et de corticoïdes sont utilisés dans cette pratique vidée de son objectif culturel.
Par Rahila Tagou(Onep)