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La biologiste moléculaire congolaise s’est spécialisée dans le paludisme
Axés sur des domaines uniques, ses travaux apportent une rare expertise sur le palu
Francine Ntoumi a plusieurs fois été primée pour la qualité de ses travaux
Francine Ntoumi est une parasitologue congolaise spécialisée dans le paludisme. Elle est la première femme africaine responsable du secrétariat de l’Initiative multilatérale sur le paludisme.
Très impliquée dans la recherche sur les maladies infectieuses, Francine Ntoumi a acquis une expérience professionnelle internationale au Gabon, en Allemagne, aux Pays–Bas et en Tanzanie.
Depuis dix ans, elle est fortement engagée dans le renforcement des capacités de la recherche clinique en Afrique centrale.
Dans cet entretien, elle dévoile ses efforts dans le domaine de la recherche biomédicale, notamment la création de la Fondation Congolaise pour la Recherche Médicale (FCRM), ainsi que les résultats obtenus et ses engagements à intéresser les jeunes filles à cette discipline scientifique.
Qu’est ce qui a motivé la création de la FCRM et quels objectifs poursuit-elle ?
La Fondation Congolaise pour la Recherche Médicale a été créée en 2008 pour contribuer à la recherche biomédicale au Congo-Brazzaville. Un tel outil me semblait important pour faire partie de l’arsenal des mécanismes de développement de la recherche au Congo, car c’est un mécanisme plus souple, plus ciblé et donc plus efficace. La FCRM a pour objectifs de conduire des activités de recherche sur certaines maladies infectieuses, de conduire des activités de formation, d’offrir des services de soins de qualité à la population et d’assurer un plaidoyer pour un soutien accru à la recherche scientifique dans le pays.
“Il n’y aura pas de développement sans la recherche. Ceci n’est pas un slogan, mais une simple réalité.”
Francine Ntoumi
Quel est son impact au sein de la population et dans le milieu scientifique congolais et africain ?
Aujourd’hui la FCRM est synonyme de recherche de qualité menée au Congo. Elle véhicule une image très positive qui nous est renvoyée dans les différents échanges que nous avons avec les collègues, les décideurs, la presse, les étudiants etc. Il est vrai que les prix que j’ai reçus à titre personnel et au nom de la FCRM ont véritablement aidé à cette visibilité nationale et internationale. Nos collaborations avec les institutions, aussi bien en Afrique qu’en Europe ou aux Etats-Unis, ont augmenté ces dernières années. Si les gens veulent travailler avec nous, c’est que nous sommes crédibles et fiables. Les travaux de recherche de la FCRM ont conduit à des publications scientifiques dans des journaux et revues, tels que : Nature Genetics, Science, Nature Drug Discovery, The Lancet Infectious Diseases, Plosone, Malaria Journal, etc. Ceci est un indicateur indiscutable de la qualité du travail exécuté. Le nombre de nos publications croît d’année en année.
Quel a été l’apport de vos recherches et publications pour le développement ?
Il ne faut pas oublier que la recherche est un investissement sur le long terme et non un investissement d’une ou deux années. Donc la FCRM n’a que dix ans d’existence et elle a formé des dizaines d’étudiants en Master et doctorat. La Fondation a mené les premiers travaux sur l’infection à rotavirus, qui est responsable des diarrhées sévères chez l’enfant et nos travaux ont porté sur la caractérisation des souches. Nos recherches ont permis d’avoir une idée des souches circulantes savantes et l’introduction du vaccin permettra l’évaluation de son impact. Ceci est une contribution majeure. Il faut ajouter que la FCRM est la seule à évacuer l’impact du traitement préventif intermittent à la sulfadoxine-pyrimethamine contre le paludisme chez la femme enceinte au Congo. Ceci est aussi très important quand on sait que le paludisme a des conséquences terribles chez la femme enceinte.
Quel est l’apport des pouvoirs publics à l’endroit des scientifiques congolais ?
Il nous a été attribué un bâtiment pour des laboratoires à la cité de la recherche (ex-ORSTOM.) L’eau et l’électricité dans notre laboratoire à la faculté des sciences de la santé sont prises en charge par l’université publique Marien Ngouabi. Bien entendu, nous souhaitons obtenir une ligne budgétaire qui nous serait d’une grande assistance car nous formons beaucoup d’étudiants de l’université Marien Ngouabi.
Comment appréciez-vous l’implication de la femme au sein d’un monde considéré comme masculin au Congo et en Afrique ?
Le taux des femmes scientifiques est encore trop faible en Afrique. Selon l’UNESCO, en Afrique, environ 30% des femmes sont impliquées dans la recherche et au Congo, la proportion est de moins de 10%.
Etre femme dans ce domaine est-il aisé dans nos pays ?
Comme dans toutes les carrières où les femmes sont peu représentées, la femme doit en faire plus pour être prise en compte. La communauté scientifique congolaise ne fait pas exception. Je peux dire que je n’ai pas été facilement acceptée au début, pour ne pas dire que j’ai été ignorée. Je me suis tout simplement imposée par le travail.
Quelle a été votre contribution dans le monde scientifique congolais et africain ?
Mon expérience la plus importante est dans le paludisme et j’ai beaucoup travaillé dans la caractérisation des parasites (génotypage moléculaire). J’ai été l’une des premières à analyser avec l’outil moléculaire, les souches de terrain. C’était d’ailleurs celles du Sénégal. Nous avons amélioré la connaissance sur la diversité des souches en circulation. Evidemment, nous avons fait un travail similaire au Congo et nous sommes la seule équipe qui décrivons les souches en circulation et qui surveillons les souches responsables du paludisme. Sans oublier notre travail sur les pathogènes responsables des maladies diarrhéiques (rotavirus, norovirus, adenovirus,) et jusque-là, nous sommes les seuls à effectuer des analyses dans le pays.
Comment appréciez-vous l’engagement des jeunes, en général et des femmes en particulier, dans le domaine de la recherche scientifique ?
J’enseigne à l’université Marien Ngouabi, qui est la seule université publique du pays, au sein de la faculté des sciences et techniques. Je peux vous dire que les jeunes sont désireux d’apprendre. Certains d’entre eux ont vraiment l’ambition de s’engager dans la recherche, mais malheureusement j’ai noté qu’ils ne savaient pas ce qu’il y avait derrière ce mot. Là est ma responsabilité : leur ouvrir les champs des possibles avec la recherche. Les étudiantes congolaises sont aussi intéressées par la recherche biomédicale. Mes premières doctorantes (4 dont 2 femmes) vont soutenir leur thèse en fin d’année 2017 et début 2018. J’en suis ravie !
Quelle est la démarche de votre Fondation pour susciter de l’intérêt pour les branches scientifiques auprès des jeunes filles ?
La Fondation organise des compagnes de sensibilisation en milieu scolaire sur les carrières scientifiques. Je vais avec mes étudiantes dans les lycées et collèges de la ville et nous échangeons avec les élèves. J’essaye modestement de leur montrer par l’exemple, qu’il est possible de s’épanouir dans une carrière scientifique comme biologiste, au Congo.
D’aucuns pensent que les pays africains ne s’investissent presque pas dans la recherche scientifique. Partagez-vous cet avis ?
Effectivement ! Les pays africains pourraient faire mieux. Même si certains d’entre eux se démarquent. Beaucoup de bonnes et importantes résolutions sont prises, mais il y a rarement des applications concrètes.
Francine Ntoumi, sur quoi portent vos recherches en ce moment ?
Mes recherches sont axées actuellement sur le paludisme, notamment sur la surveillance de la sensibilité des souches plasmodiales aux antipaludiques, le paludisme chez les porteurs du trait drépanocytaire, la tuberculose (caractérisation des souches de mycobacterium tuberculosis) chez les patients congolais.
Quel appel pouvez-vous lancer à l’endroit des jeunes qui pensent que la recherche scientifique est une affaire de pays riches ?
Il n’y aura pas de développement sans la recherche. Ceci n’est pas un slogan, mais une simple réalité. Les Africains doivent s’impliquer dans la recherche scientifique afin d’être capables de répondre aux besoins en matière de santé et d’améliorer la vie de leur population.